ris comme hommes, les plus distingues et les plus riches. Moi,
je les connais."
Nous n'avons pas cru, d'abord, que c'etait vrai; parce que ces hommes-la
ne sont pas faits pour les modistes, pour Irma oui, mais pour nous, non.
Oh! elle etait d'un chic, cette Irma. Tu sais, nous avions coutume
de dire a l'atelier que si l'empereur l'avait connue, il l'aurait
certainement epousee.
Pour lors, elle nous fit habiller de ce que nous avions de mieux et elle
nous dit: "Vous, vous n'entrerez pas au bal, vous allez rester chacune
dans un fiacre dans les rues voisines. Un monsieur viendra qui montera
dans votre voiture. Des qu'il sera entre, vous l'embrasserez le plus
gentiment que vous pourrez; et puis vous pousserez un grand cri pour
montrer que vous vous etes trompee, que vous en attendiez un autre. Ca
allumera le pigeon de voir qu'il prend la place d'un autre et il voudra
rester par force; vous resisterez, vous ferez les cent coups pour le
chasser... et puis... vous irez souper avec lui... Alors il vous devra
un bon dedommagement."
Tu ne comprends point encore, n'est-ce pas? Eh bien, voici ce qu'elle
fit, la rosse.
Elle nous fit monter toutes les quatre dans quatre voitures, des
voitures de cercle, des voitures bien comme il faut, puis elle nous
placa dans des rues voisines de l'Opera. Alors, elle alla au bal,
toute seule. Comme elle connaissait, par leur nom, les hommes les plus
marquants de Paris, parce que la patronne fournissait leurs femmes, elle
en choisit d'abord un pour l'intriguer. Elle lui en dit de toutes les
sortes, car elle a de l'esprit aussi. Quand elle le vit bien emballe,
elle ota son loup, et il fut pris comme dans un filet. Donc il voulut
l'emmener tout de suite, et elle lui donna rendez-vous, dans une
demi-heure, dans une voilure en face du n deg. 20 de la rue Taitbout.
C'etait moi, dans cette voiture-la? J'etais bien enveloppee et la figure
voilee. Donc, tout d'un coup, un monsieur passa sa tete a la portiere,
et il dit: "C'est vous?"
Je reponds tout bas: "Oui, c'est moi, montez vite."
Il monte; et moi je le saisis dans mes bras et je l'embrasse, mais je
l'embrasse a lui couper la respiration; puis je reprends:
--Oh! que je suis heureuse! que je suis heureuse!
Et, tout d'un coup, je crie:
--Mais ce n'est pas toi! Oh! mon Dieu! Oh! mon Dieu! Et je me mets a
pleurer.
Tu juges si voila un homme embarrasse! Il cherche d'abord a me consoler;
il s'excuse, proteste qu'il s'est trompe aussi!
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