la Bourse et programmes
des theatres.
Entre quatre et six heures il allait faire un tour sur les boulevards,
pour prendre l'air, disait-il; puis il revenait s'asseoir a la place
qu'on lui avait conservee et demandait son absinthe.
Alors il causait avec les habitues dont il avait fait la connaissance.
Ils commentaient les nouvelles du jour, les faits divers et les
evenements politiques: cela le menait a l'heure du diner. La soiree se
passait comme l'apres-midi jusqu'au moment de la fermeture. C'etait pour
lui l'instant terrible, l'instant ou il fallait rentrer dans le noir,
dans la chambre vide, pleine de souvenirs affreux, de pensees horribles
et d'angoisses. Il ne voyait plus personne de ses anciens amis, personne
de ses parents, personne qui put lui rappeler sa vie passee.
Mais comme son appartement devenait un enfer pour lui, il prit une
chambre dans un grand hotel, une belle chambre d'entresol afin de voir
les passants. Il n'etait plus seul en ce vaste logis public; il sentait
grouiller des gens autour de lui; il entendait des voix derriere les
cloisons; et quand ses anciennes, souffrances le harcelaient trop
cruellement en face de son lit entr'ouvert et de son feu solitaire, il
sortait dans les larges corridors et se promenait comme un factionnaire,
le long de toutes les portes fermees, en regardant avec tristesse les
souliers accouples devant chacune, les mignonnes bottines de femme
blotties a cote des fortes bottines d'hommes; et il pensait que tous ces
gens-la etaient heureux, sans doute, et dormaient tendrement, cote a
cote ou embrasses, dans la chaleur de leur couche.
Cinq annees se passerent ainsi; cinq annees mornes, sans autres
evenements que des amours de deux heures, a deux louis, de temps en
temps.
Or un jour, comme il faisait sa promenade ordinaire entre la Madeleine
et la rue Drouot, il apercut tout a coup une femme dont la tournure le
frappa. Un grand monsieur et un enfant l'accompagnaient. Tous les
trois marchaient devant lui. Il se demandait: "Ou donc ai-je vu ces
personnes-la?" et, tout a coup, il reconnut un geste de la main: c'etait
sa femme, sa femme avec Limousin, et avec son enfant, son petit Georges.
Son coeur battait a l'etouffer; il ne s'arreta pas cependant; il voulait
les voir; et il les suivit. On eut dit un menage, un bon menage de bons
bourgeois. Henriette s'appuyait au bras de Paul, lui parlait doucement
en le regardant parfois de cote. Parent la voyait alors de profil,
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