c'etait jour de poule au
billard. On voyait parmi la fumee des pipes flamboyer les pompons des
shakos et les ceinturons qui reluisaient pendus aux pateres. Les nobles
coeurs etaient au complet, il ne manquait que le maitre d'armes.
Je regardai un moment ces grosses faces rouges que les glaces
multipliaient, l'absinthe dansant dans les verres, les carafons
d'eau-de-vie tout ebreches sur le bord; et de penser que j'avais vecu
dans ce cloaque je me sentis rougir... Je revis le petit Chose roulant
autour du billard, marquant les points, payant le punch, humilie,
meprise, se depravant de jour en jour, et machonnant sans cesse entre
ses dents un tuyau de pipe ou un refrain de caserne... Cette vision
m'epouvanta encore plus que celle que j'avais eue dans la salle du
gymnase en voyant flotter la petite cravate violette. Je m'enfuis...
Or, comme je m'acheminais vers le college, suivi d'un homme de la
diligence pour emporter ma malle, je vis venir sur la place le maitre
d'armes, semillant, une badine a la main, le feutre sur l'oreille,
mirant sa moustache fine dans ses belles bottes vernies... De loin je le
regardais avec admiration en me disant: "Quel dommage qu'un si bel homme
porte une si vilaine ame!..." Lui, de son cote, m'avait apercu et venait
vers moi avec un bon sourire bien loyal et deux grands bras ouverts...
Oh! la tonnelle!
"Je vous cherchais, me dit-il... Qu'est-ce que j'apprends? Vous..."
Il s'arreta net. Mon regard lui cloua ses phrases menteuses sur les
levres. Et dans ce regard qui le fixait d'aplomb, en face, le miserable
dut lire bien des choses, car je le vis tout a coup palir, balbutier,
perdre contenance; mais ce ne fut que l'affaire d'un instant: il reprit
aussitot son air flambant, planta dans mes yeux deux yeux froids et
brillants comme l'acier, et, fourrant ses mains au fond de ses poches
d'un air resolu, il s'eloigna en murmurant que ceux qui ne seraient pas
contents n'auraient qu'a venir le lui dire...
Bandit, va!
Quand je rentrai au college, les eleves etaient en classe. Nous montames
dans ma mansarde. L'homme chargea la malle sur ses epaules et descendit.
Moi, je restai encore quelques instants dans cette chambre glaciale,
regardant les murs nus et salis, le pupitre noir tout dechiquete, et,
par la fenetre etroite, les platanes des cours qui montraient leurs
tetes couvertes de neige... En moi-meme, je disais adieu a tout ce
monde.
A ce moment, j'entendis une voix de tonnerre qui grond
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