Ces Lalouette etaient de riches commercants avares et
maniaques, qui n'avaient jamais voulu prendre ni un commis ni une bonne,
parce qu'il faut tout faire par soi-meme ("Monsieur, jusqu'a cinquante
ans, j'ai fait mes culottes moi-meme!" disait le pere Lalouette avec
fierte), et qui, sur leurs vieux jours seulement, se donnaient le luxe
flamboyant d'une femme de menage a douze francs par mois. Dieu sait
que ces douze francs-la, l'ouvrage les valait bien! La boutique,
l'arriere-boutique, un appartement au quatrieme, deux seilles d'eau pour
la cuisine a remplir tous les matins! Il fallait venir des Cevennes pour
accepter de pareilles conditions; mais bah! la Cevenole etait jeune,
alerte, rude au travail et solide des reins comme une jeune taure; en un
tour de main, elle expediait ce gros ouvrage et, par-dessus le marche,
montrait tout le temps aux deux vieillards son joli rire, qui valait
plus de douze francs a lui tout seul... A force de belle humeur et de
vaillance cette courageuse montagnarde finit par seduire ses patrons.
On s'interessa a elle; on la fit causer; puis, un beau jour,
spontanement--les coeurs les plus secs ont parfois de ces soudaines
floraisons de bonte--, le vieux Lalouette offrit de preter un peu
d'argent a Pierrotte pour qu'il put entreprendre un commerce a son idee.
Voici quelle fut l'idee de Pierrotte: il se procura un vieux bidet, une
carriole, et s'en alla d'un bout de Paris a l'autre en criant de toutes
ses forces: "Debarrassez-vous de ce qui vous gene!" Notre finaud de
Cevenol ne vendait pas, il achetait... quoi?... tout... Les pots casses,
les vieux fers, les papiers, les bris de bouteilles, les meubles hors de
service qui ne valent pas la peine d'etre vendus, les vieux galons dont
les marchands ne veulent pas, tout ce qui ne vaut rien et qu'on garde
chez soi par habitude, par negligence, parce qu'on ne sait qu'en faire,
tout ce qui gene!... Pierrotte ne faisait fi de rien, il achetait tout,
ou du moins il acceptait tout; car le plus souvent on ne lui vendait
pas, on lui donnait, on se debarrassait. "Debarrassez-vous de ce qui
vous gene!"
Dans le quartier Montmartre, le Cevenol etait tres populaire. Comme tous
les petits commercants ambulants qui veulent faire trou dans le brouhaha
de la rue, il avait adopte une melopee personnelle et bizarre, que les
menageres connaissaient bien... C'etait d'abord a pleins poumons le
formidable: "Debarrassez-vous de ce qui vous geeene!" Puis, sur un
ton le
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