a_...; mais le plus beau de tous etait encore _Baghavat_. Ah!
quand le poete recitait _Baghavat_, toute la salle du fond croulait. On
hurlait, on trepignait, on montait sur les tables. J'avais a ma droite
un petit architecte a nez rouge qui sanglotait des le premier vers et
tout le temps s'essuyait les yeux avec ma serviette...
Moi, par entrainement, je criais plus fort que tout le monde: mais, au
fond, je n'etais pas fou de Baghavat. En somme, ces poemes indiens se
ressemblaient tous. C'etait toujours un lotus, un condor, un elephant
et un buffle; quelquefois, pour changer, les lotus s'appelaient lotos;
mais, a part cette variante, toutes ces rapsodies se valaient: ni
passion, ni verite, ni fantaisie. Des rimes sur des rimes. Une
mystification... Voila ce qu'en moi-meme je pensais du grand Baghavat;
et je l'aurais peut-etre juge avec moins de severite si on m'avait a mon
tour demande quelques vers; mais on ne me demandait rien, et cela me
rendait impitoyable... Du reste, je n'etais pas le seul de mon avis sur
la poesie hindoue. J'avais mon voisin de gauche qui n'y mordait pas non
plus... Un singulier personnage, mon voisin de gauche: huileux, rape,
luisant, avec un grand front chauve et une longue barbe ou couraient
toujours quelques fils de vermicelle. C'etait le plus vieux de la table
et de beaucoup aussi le plus intelligent. Comme tous les grands esprits,
il parlait peu, ne se prodiguait pas. Chacun le respectait. On disait
de lui: "Il est tres fort... c'est un penseur." Moi, de voir la grimace
ironique qui tordait sa bouche en ecoutant les vers du grand Baghavat,
j'avais concu de mon voisin de gauche la plus haute opinion. Je pensais:
"Voila un homme de gout... Si je lui disais mon poeme!"
Un soir--comme on se levait de table--, je fis apporter un flacon
d'eau-de-vie, et j'offris au penseur de prendre un petit verre avec
moi. Il accepta, je connaissais son vice. Tout en buvant, j'amenai la
conversation sur le grand Baghavat, et je commencai par dire beaucoup de
mal des lotus, des condors, des elephants et des buffles.
--C'etait de l'audace, les elephants sont si rancuniers!...
--Pendant que je parlais, le penseur se versait de l'eau-de-vie sans
rien dire. De temps en temps, il souriait et remuait approbativement la
tete en faisant: "Oua... oua..." Enhardi par ce premier succes, je lui
avouai que moi aussi j'avais compose un grand poeme et que je desirais
le lui soumettre. "Oua... oua...", fit encore le penseu
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