place a lui.
Il restait la, taciturne et triste comme sont les grands comiques,
l'oreille fermee a toutes les trivialites qui bourdonnaient a ses cotes.
Si bas qu'il fut tombe, ce cabotinage roulant etait encore au-dessous de
lui. Il avait honte de se trouver en pareille compagnie. Les femmes, de
vieilles pretentions, fanees, fardees, manierees, sentencieuses. Les
hommes, des etres communs, sans ideal, sans orthographe, des fils de
coiffeurs ou de marchandes de _frites_, qui s'etaient faits comediens
par desoeuvrement, par faineantise, par amour du paillon, du costume;
pour se montrer sur les planches en collant de couleur tendre et
redingotes a la Souwaroff, des lovelaces de barriere, toujours
preoccupes de leur tenue, depensant leurs appointements en frisures, et
vous disant, d'un air convaincu: "Aujourd'hui, j'ai bien travaille",
quand ils avaient passe cinq heures a se faire une paire de bottes Louis
XV avec deux metres de papier verni.... En verite, c'etait bien la peine
de railler le salon a musique de Pierrotte pour venir echouer dans cette
guimbarde.
A cause de son air maussade et de ses fiertes silencieuses, ses
camarades ne l'aimaient pas. On disait: "C'est un sournois." La creole,
en revanche, avait su gagner tous les coeurs. Elle tronait dans
l'omnibus comme une princesse en bonne fortune, riait a belles dents,
renversait la tete en arriere pour montrer sa fine encolure, tutoyait
tout le monde, appelait les hommes "mon vieux", les femmes "ma petite",
et forcait les plus hargneux a dire d'elle: "C'est une bonne fille." Une
bonne fille, quelle derision!...
Ainsi roulant, riant, les grosses plaisanteries faisant feu, on arrivait
au lieu de la representation. Le spectacle fini, on se deshabillait d'un
tour de main, et vite on remontait en voiture pour rentrer a Paris.
Alors il faisait noir. On causait a voix basse, en se cherchant dans
l'ombre avec les genoux. De temps en temps, un rire etouffe... A
l'octroi du faubourg du Maine, l'omnibus s'arretait pour remiser. Tout
le monde descendait, et l'on allait en troupe reconduire Irma Borel
jusqu'a la porte du grand taudis, ou Coucou-Blanc, aux trois quarts
ivre, les attendait avec sa chanson triste:
_Tolocototignan!... Tolocototignan!..._
A les voir ainsi rives l'un a l'autre, on aurait pu croire qu'ils
s'aimaient. Non! ils ne s'aimaient pas. Ils se connaissaient bien trop
pour cela. Il la savait menteuse, froide, sans entrailles. Elle le
savait faible e
|