ui paraissait avoir beaucoup de peine a boutonner ses gants.
Je voulais m'excuser et passer outre, mais l'hotelier me retint;
"Un mot, monsieur Daniel!"
Puis, se tournant vers l'autre, il ajouta:
"C'est le jeune homme en question. Je crois que vous feriez bien de le
prevenir..."
Je m'arretai fort intrigue. De quoi ce gros bonhomme voulait-il me
prevenir? Que ses gants etaient beaucoup trop etroits pour ses pattes?
Je le voyais bien, parbleu!...
Il y eut un moment de silence et de gene. M. Pilois, le nez en l'air,
regardait dans son figuier comme pour y chercher les figues qui n'y
etaient pas. L'homme aux gants tirait toujours sur ses boutonnieres...
A la fin, pourtant, il se decida a parler; mais sans lacher son bouton,
n'ayez pas peur.
"Monsieur, me dit-il, je suis depuis vingt ans medecin de l'hotel
Pilois, et j'ose affirmer..."
Je ne le laissai pas achever sa phrase, Ce mot de medecin m'avait tout
appris. "Vous venez pour mon frere, lui demandai-je en tremblant... Il
est bien malade, n'est-ce pas?"
Je ne crois pas que ce medecin fut un mechant homme, mais, a ce
moment-la, c'etaient ses gants surtout qui le preoccupaient, et sans
songer qu'il parlait a l'enfant de Jacques, sans essayer d'amortir le
coup, il me repondit brutalement: "S'il est malade! je crois bien... Il
ne passera pas la nuit."
Ce fut bien assene, je vous en reponds. La maison, le jardin, M. Pilois,
le medecin, je vis tout tourner, Je fus oblige de m'appuyer contre le
figuier, Il avait le poignet rude, le docteur de l'hotel Pilois!... Du
reste, il ne s'apercut de rien et continua avec le plus grand calme,
sans cesser de boutonner ses gants: "C'est un, cas foudroyant de
phtisie galopante... Il n'y a rien a faire, du moins rien de serieux,..
D'ailleurs on m'a prevenu beaucoup trop tard, comme toujours.
--Ce n'est pas ma faute, docteur--fit le bon M. Pilois qui persistait
a chercher des figues avec la plus grande attention, un moyen comme un
autre de cacher ses larmes--, ce n'est pas ma faute, Je savais depuis
longtemps qu'il etait malade, ce pauvre M. Eyssette, et je lui ai
souvent conseille de faire venir quelqu'un; mais il ne voulait jamais.
Bien sur qu'il avait peur d'effrayer son frere... C'etait si uni,
voyez-vous! ces enfants-la!" Un sanglot desespere me jaillit du fond des
entrailles:
"Allons! mon garcon, du courage! me dit l'homme aux gants d'un air de
bonte... Qui sait? la science a prononce son dernier mot, mais la na
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