rs suivants, que de petits bonheurs savoures goutte a goutte, aller
a l'imprimerie; corriger les epreuves, discuter la couleur de la
couverture, voir le papier sortir tout humide de la presse avec vos
pensees imprimees dessus, courir deux fois, trois fois chez le brocheur,
et revenir enfin avec le premier exemplaire qu'on ouvre en tremblant du
bout des doigts... Dites! est-il rien de plus delicieux au monde?
Pensez que le premier exemplaire de _La Comedie pastorale_ revenait de
droit aux yeux noirs. Je le leur portai le soir meme, accompagne de la
mere Jacques qui voulait jouir de mon triomphe. Nous fimes notre entree
dans le salon jonquille, fiers et radieux. Tout le monde etait la.
"Monsieur Pierrotte, dis-je au Cevenol, permettez-moi d'offrir ma
premiere oeuvre a Camille." Et je mis mon volume dans une chere petite
main qui fremissait de plaisir. Oh! si vous aviez vu le joli merci que
les yeux noirs m'envoyerent, et comme ils resplendissaient en lisant
mon nom sur la couverture. Pierrotte etait moins enthousiasme, lui. Je
l'entendis demander a Jacques combien un volume comme cela pouvait me
rapporter:
"Onze cents francs", repondit Jacques avec assurance.
La-dessus, ils se mirent a causer longuement, a voix basse, mais je ne
les ecoutai pas. J'etais tout a la joie de voir les yeux noirs abaisser
leurs grands cils de soie sur les pages de mon livre et les relever vers
moi avec admiration... Mon livre! les yeux noirs! deux bonheurs que je
devais a ma mere Jacques...
Ce soir-la, avant de rentrer, nous allames roder dans les galeries de
l'Odeon pour juger de l'effet que _La Comedie pastorale_ faisait a
l'etalage des librairies.
"Attends-moi, me dit Jacques; je vais voir combien on en a vendu."
Je l'attendis en me promenant de long en large, regardant du coin de
l'oeil certaine couverture verte a filets noirs qui s'epanouissait au
milieu de la devanture. Jacques vint me rejoindre au bout d'un moment;
il etait pale d'emotion.
--"Mon cher, me dit-il, on en a deja vendu un. C'est de bon augure..."
Je lui serrai la main silencieusement. J'etais trop emu pour parler;
mais, a part moi, je me disais: "Il y a quelqu'un a Paris qui vient de
tirer trois francs de sa bourse pour acheter cette production de ton
cerveau, quelqu'un qui te lit, qui te juge... Quel est ce quelqu'un? Je
voudrais bien le connaitre..." Helas! pour mon malheur, j'allais bientot
le connaitre, ce terrible quelqu'un.
Le lendemain de l'appari
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