ce qu'elle dit lui vient
de quelqu'un. Elle n'a pas de cervelle, pas d'entrailles. Elle est
fourbe, elle est cynique, elle est mechante. Dans ses acces de colere,
je l'ai vue rouer sa Negresse de coups de cravache, la jeter par terre,
la trepigner. Avec cela, une femme forte, qui ne croit ni a Dieu ni au
diable, mais qui accepte aveuglement les predictions des somnambules et
du marc de cafe. Quant a son talent de tragedienne, elle a beau prendre
des lecons d'un avorton a bosse et passer toutes ses journees chez elle
avec des boules elastiques dans la bouche, je suis sur qu'aucun
theatre n'en voudra. Dans la vie privee, par exemple, c'est une fiere
comedienne.
"Comment j'etais tombe dans les griffes de cette creature, moi qui aime
tant ce qui est bon et ce qui est simple, je n'en sais vraiment rien,
mon pauvre Jacques; mais ce que je puis te jurer, c'est que je lui ai
echappe et que maintenant tout est fini, fini, fini.... Si tu savais
comme j'etais lache et ce qu'elle faisait de moi!... Je lui avais
raconte toute mon histoire: je lui parlais de toi, de notre mere, des
yeux noirs. C'est a mourir de honte, je te dis.... Je lui avais donne
tout mon coeur, je lui avais livre toute ma vie; mais de sa vie a elle,
jamais elle n'avait rien voulu me livrer. Je ne sais pas qui elle est,
je ne sais pas d'ou elle vient. Un jour je lui ai demande si elle avait
ete mariee, elle s'est mise a rire. Tu sais, cette petite cicatrice
qu'elle a sur la levre, c'est un coup de couteau qu'elle a recu la-bas
dans son pays, a Cuba. J'ai voulu savoir qui lui avait fait cela. Elle
m'a repondu tres simplement: "Un Espagnol nomme Pacheco", et pas un mot
de plus.... C'est bete, n'est-ce pas? Est-ce que je le connais moi,
ce Pacheco? Est-ce qu'elle n'aurait pas du me donner quelques
explications?... Un coup de couteau, ce n'est pas naturel, que diable!
Mais voila... les artistes qui l'entourent lui ont fait un renom de
femme etrange, et elle tient a sa reputation.... Oh! ces artistes, mon
cher, je les execre. Si tu savais ces gens-la, a force de vivre avec des
statues et des peintures, ils en arrivent a croire qu'il n'y a que cela
au monde. Ils vous parlent toujours de forme, de ligne, de couleur,
d'art grec, de Parthenon, de meplats, de mastoides. Ils regardent votre
nez, votre bras, votre menton. Ils cherchent si vous avez un type, du
galbe, du _caractere_; mais de ce qui bat dans nos poitrines, de nos
passions, de nos larmes, de nos angoisses, il
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