que fut leur logis, ils n'en sortaient jamais.
Le temps que leur laissait le theatre, ils le passaient chez eux
a apprendre leurs roles, et c'etait, je vous le jure, un terrible
charivari. D'un bout de la maison a l'autre on entendait leurs
rugissements dramatiques:
"Ma fille, rendez-moi ma fille!--Par ici, Gaspard!--Son nom, son nom,
misera-a-ble!" Par la-dessus, les cris dechirants du kakatoes, et la
voix aigue de Coucou-Blanc qui chantonnait sans cesse:
_Tolocototignan!... Tolocototignan!..._
Irma Borel etait heureuse, elle. Cette vie lui plaisait; cela l'amusait
de jouer au menage d'artistes pauvres. "Je ne regrette rien",
disait-elle souvent. Qu'aurait-elle regrette? Le jour ou la misere la
fatiguerait, le jour ou elle serait lasse de boire du vin au litre et
de manger ces hideuses portions a sauce brune qu'on leur montait de la
gargote, le jour ou elle en aurait jusque-la de l'art dramatique de la
banlieue, ce jour-la, elle savait bien qu'elle reprendrait son existence
d'autrefois. Tout ce qu'elle avait perdu, elle n'aurait qu'a lever un
doigt pour le retrouver.
C'est cette pensee d'arriere-garde qui lui donnait du courage et lui
faisait dire: "Je ne regrette rien." Elle ne regrettait rien, elle; mais
lui, lui?...
Ils avaient debute tous les deux dans _Gaspardo le Pecheur_, un des
plus beaux morceaux de la ferblanterie melodramatique. Elle y fut
tres acclamee, non certes pour son talent--mauvaise voix, gestes
ridicules--mais pour ses bras de neige, pour ses robes de velours.
Le public de la-bas n'est pas habitue a ces exhibitions de chair
eblouissante et de robes glorieuses a quarante francs le metre. Dans
la salle on disait: "C'est une duchesse!" et les titis emerveilles
applaudissaient a tete fendre....
Il n'eut pas le meme succes. On le trouva trop petit; et puis il avait
peur, il avait honte. Il parlait tout bas, comme a confesse: "Plus haut!
plus haut!" lui criait-on. Mais sa gorge se serrait, etranglant les mots
au passage. Il fut siffle.... Que voulez-vous! Irma avait beau dire, la
vocation n'y etait pas. Apres tout, parce qu'on est mauvais poete, ce
n'est pas une raison pour etre bon comedien.
La creole le consolait de son mieux: "Ils n'ont pas compris le caractere
de ta tete....", lui disait-elle souvent. Le directeur ne s'y trompa
point, lui, sur le caractere de sa tete. Apres deux representations
orageuses, il le fit venir dans son cabinet et lui dit: "Mon petit, le
drame n'est pas ton
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