nt et pleurard, de longs discours tenus a sa bourrique, a son
Anastagille, comme il l'appelait. Il croyait dire Anastasie. "Allons!
viens, Anastagille; allons! viens, mon enfant..." Et la bonne
Anastagille suivait, la tete basse, longeant les trottoirs d'un
air melancolique; et, de toutes les maisons on criait: "Pst! Pst!
Anastagille!..." La carriole se remplissait, il fallait voir! Quand elle
etait bien pleine, Anastagille et Pierrotte s'en allaient a Montmartre
deposer la cargaison chez un chiffonnier en gros, qui payait bel et bien
tous ces "debarrassez-vous de ce qui vous gene", qu'on avait eus pour
rien ou pour presque rien.
A ce metier singulier, Pierrotte ne fit pas fortune mais il gagna
sa vie, et largement. Des la premiere annee, on rendit l'argent des
Lalouette et on envoya trois cents francs a mademoiselle,--c'est ainsi
que Pierrotte appelait Mme Eyssette du temps qu'elle etait jeune fille,
et depuis il n'avait jamais pu se decider a la nommer autrement.--La
troisieme annee, par exemple, ne fut pas heureuse. C'etait en plein
1830. Pierrotte avait beau crier: "Debarrassez-vous de ce qui vous
gene!" les Parisiens, en train de se debarrasser d'un vieux roi qui les
genait, etaient sourds aux cris de Pierrotte et laissaient le Cevenol
s'egosiller dans la rue; et, chaque soir, la petite carriole rentrait
vide. Pour comble de malheur, Anastagille mourut. C'est alors que les
vieux Lalouette, qui commencaient a ne plus pouvoir tout faire par
eux-memes, proposerent a Pierrotte d'entrer chez eux comme garcon de
magasin. Pierrotte accepta, mais il ne garda pas longtemps ces modestes
fonctions. Depuis leur arrivee a Paris, sa femme lui donnait tous les
soirs des lecons d'ecriture et de lecture; il savait deja se tirer d'une
lettre et s'exprimer en francais d'une facon comprehensible. En entrant
chez Lalouette, il redoubla d'efforts, s'en alla dans une classe
d'adultes apprendre le calcul, et fit si bien qu'au bout de quelques
mois il pouvait suppleer au comptoir M. Lalouette devenu presque
aveugle, et a la vente Mme Lalouette dont les vieilles jambes
trahissaient le grand coeur. Sur ces entrefaites, Mlle Pierrotte vint
au monde et, des lors, la fortune du Cevenol alla toujours croissant.
D'abord interesse dans le commerce des Lalouette, il devint plus tard
leur associe; puis, un beau jour, le pere Lalouette, ayant completement
perdu la vue, se retira du commerce et ceda son fonds a Pierrotte,
qui le paya par annuites. Un
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