les caoutchoucs. Alors seulement, Jacques s'apercut de
l'etrangete de ma chaussure. Cela le fit beaucoup rire.
"Mon cher, me dit-il, il y a une foule d'hommes celebres qui sont
arrives a Paris en sabots, et qui s'en vantent. Toi, tu pourras dire que
tu y es arrive en caoutchoucs: c'est bien plus original. En attendant,
mets ces pantoufles, et entamons le pate."
Disant cela, le bon Jacques roulait devant le feu une petite table qui
attendait dans un coin, toute servie.
II
DE LA PART DU CURE DE SAINT-NIZIER
Dieu! qu'on etait bien cette nuit-la dans la chambre de Jacques! Quels
joyeux reflets clairs la cheminee envoyait sur notre nappe! Et ce vieux
vin cachete, comme il sentait les violettes! Et ce pate, quelle belle
croute en or bruni il vous avait! Ah! de ces pates-la, on n'en fait
plus maintenant; tu n'en boiras plus jamais de ces vins-la, mon pauvre
Eyssette!
De l'autre cote de la table, en face, tout en face de moi, Jacques me
versait a boire: et, chaque fois que je levais les yeux, je voyais son
regard tendre comme celui d'une mere, qui me riait doucement. Moi,
j'etais si heureux d'etre la que j'en avais positivement la fievre. Je
parlais, je parlais!
"Mange donc", me disait Jacques en me remplissant mon assiette; mais je
parlais toujours et je ne mangeais pas. Alors, pour me faire taire,
il se mit a bavarder, lui aussi, et me narra longuement, sans prendre
haleine, tout ce qu'il avait fait depuis plus d'un an que nous ne nous
etions pas vus.
"Quand tu fus parti, me disait-il--et les choses les plus tristes, il
les contait toujours avec son divin sourire resigne--, quand tu fus
parti, la maison devint tout a fait lugubre. Le pere ne travaillait
plus; il passait tout son temps dans le magasin a jurer contre les
revolutionnaires et a me crier que j'etais un ane, ce qui n'avancait
pas les affaires. Des billets protestes tous les matins, des descentes
d'huissiers tous les deux jours! chaque coup de sonnette nous faisait
sauter le coeur. Ah! tu t'en es alle au bon moment.
"Au bout d'un mois de cette terrible existence, mon pere partit pour
la Bretagne au compte de la Compagnie vinicole, et Mme Eyssette chez
l'oncle Baptiste. Je les embarquai tous les deux. Tu penses si j'en ai
verse de ces larmes. Derriere eux, tout notre pauvre mobilier fut vendu,
oui, mon cher, vendu dans la rue, sous mes yeux, devant notre porte;
et c'est bien penible va! de voir son foyer s'en aller ainsi piece par
piece. On n
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