nees babarottes me pousserent jusqu'a notre
ancienne petite chambre, au fond du corridor. La, elles me laisserent
deux a trois jours de repit; puis un matin, en m'eveillant, j'en apercus
une centaine qui grimpaient silencieusement le long de mon balai,
pendant qu'un autre corps de troupe se dirigeait en bon ordre vers mon
lit. Prive de mes armes, force dans mes derniers redans, je n'avais plus
qu'a fuir. C'est ce que je fis. J'abandonnai aux babarottes le matelas,
la chaise, le balai, et je m'en fus de cette horrible maison de la rue
Lanterne, pour n'y plus revenir.
"Je passais encore quelques mois a Lyon, mais bien longs, bien noirs,
bien larmoyants. A mon bureau, on ne m'appelait plus que sainte
Madeleine. Je n'allais nulle part. Je n'avais pas un ami.. Ma seule
distraction, c'etait tes lettres... Ah! mon Daniel, quelle jolie facon
tu as de dire les choses! Je suis sur que tu pourrais ecrire dans les
journaux, si tu voulais. Ce n'est pas comme moi. Figure-toi qu'a force
d'ecrire sous la dictee j'en suis arrive a etre a peu pres aussi
intelligent qu'une machine a coudre. Impossible de rien trouver par
moi-meme. M. Eyssette avait bien raison de me dire: "Jacques, tu es un
ane." Apres tout, ce n'est pas si mal d'etre un ane. Les anes sont de
braves betes, patientes, fortes, laborieuses, le coeur bon et les reins
solides... Mais revenons a mon histoire.
"Dans toutes les lettres, tu me parlais de la reconstruction du foyer,
et, grace a ton eloquence, j'avais comme toi pris feu pour cette grande
idee. Malheureusement, ce que je gagnais a Lyon suffisait a peine pour
me faire vivre. C'est alors que la pensee me vint de m'embarquer pour
Paris. Il me semblait que la je serais plus a meme de venir en aide a
la famille, et que je trouverais tous les materiaux necessaires a notre
fameuse reconstruction. Mon voyage fut donc decide; seulement je pris
mes precautions. Je ne voulais pas tomber dans les rues de Paris comme
un pierrot sans plumes. C'est bon pour toi, mon Daniel: il y a des
graces d'etat pour les jolis garcons; mais moi, un grand pleurard!
"J'allai donc demander quelques lettres de recommandation a notre ami
le cure de Saint-Nizier. C'est un homme tres bien pose dans le faubourg
Saint-Germain. Il me donna deux lettres, l'une pour un comte, l'autre
pour un duc. Je me mets bien, comme tu vois. De la je m'en fus trouver
un tailleur qui, sur ma bonne mine, consentit a me faire credit d'un bel
habit noir avec ses dependa
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