uvent pas manquer de me servir un jour ou l'autre. A
huit heures du soir, je suis libre. Je vais lire les journaux dans
un cabinet de lecture, ou bien encore dire bonjour a notre ami
Pierrotte.... Est-ce que tu te rappelles, l'ami Pierrotte? tu sais!
Pierrotte des Cevennes, le frere de lait de maman. Aujourd'hui Pierrotte
n'est plus Pierrotte: c'est M. Pierrotte comme les deux bras. Il a un
beau magasin de porcelaines au passage du Saumon; et comme il aimait
beaucoup Mme Eyssette, j'ai trouve sa maison ouverte a tous battants.
Pendant les soirees d'hiver, c'etait une ressource.... Mais maintenant
que te voila, je ne suis plus en peine pour mes soirees.... Ni toi non
plus, n'est-ce pas, frerot? Oh! Daniel, mon Daniel, que je suis content?
Comme nous allons etre heureux!..."
III
MA MERE JACQUES
Jacques a fini son odyssee, maintenant c'est le tour de la mienne.
Le feu qui meurt a beau nous faire signe: "Allez vous coucher, mes
enfants", les bougies ont beau crier: "Au lit! au lit! Nous sommes
brulees jusqu'aux bobeches."--"On ne vous ecoute pas", leur dit Jacques
en riant, et notre veillee continue.
Vous comprenez! ce que je raconte a mon frere l'interesse beaucoup.
C'est la vie du petit Chose au college de Sarlande; cette triste vie que
le lecteur se rappelle sans doute. Ce sont les enfants laids et feroces,
les persecutions, les haines, les humiliations, les clefs de M.
Viot toujours en colere, la petite chambre sous les combles ou l'on
etouffait, les trahisons, les nuits de larmes; et puis aussi--car
Jacques est si bon qu'on peut tout lui dire--, ce sont les debauches du
cafe Barbette, l'absinthe avec les caporaux, les dettes, l'abandon de
soi-meme, tout enfin, jusqu'au suicide et la terrible prediction de
l'abbe Germane: "Tu seras un enfant toute ta vie."
Les coudes sur la table, la tete dans ses mains, Jacques ecoute jusqu'au
bout ma confession sans l'interrompre. De temps en temps, je le vois qui
frissonne et je l'entends dire: "Pauvre petit! pauvre petit!"
Quand j'ai fini, il se leve, me prend les mains et me dit d'une voix
douce qui tremble: "L'abbe Germane avait raison: vois-tu! Daniel, tu es
un enfant, un petit enfant incapable d'aller seul dans la vie, et tu
as bien fait de te refugier pres de moi. Des aujourd'hui tu n'es plus
seulement mon frere, tu es mon fils aussi, et puisque notre mere est
loin, c'est moi qui la remplacerai. Le veux-tu? dis, Daniel! Veux-tu que
je sois ta mere Jacques? Je n
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