'apercut pas du feu qui me devorait. Cependant sa conduite
envers moi et ses paroles etaient toujours affectueuses et amicales,
mais qu'etaient-elles ces marques d'amitie pour moi qui sentais au
dedans de mon coeur un brasier devorant? De ma fenetre je voyais sa
demeure, ses allees et venues et avec fremissement j'apercevais sa
silhouette dans le lointain. Lorsqu'elle se rendait a l'eglise, je la
suivais de loin et aurais ete heureux de baiser les traces de ses pas
dans la poussiere du chemin.
Vous pouvez juger de ce que j'eprouvais avec cet amour immense, quand je
la voyais au bras d'Octave et avec quelle rage j'appris un jour qu'ils
etaient fiances. Elle devint desespoir, le jour ou je la rencontrai
rougissante de bonheur et de plaisir, elle etait amoureusement inclinee
vers Octave et le main dans la sienne, ils se souriaient l'un a l'autre,
Pendant que je passais ainsi toutes mes journees en folles reveries
amoureuses, Octave par son travail et avec l'aide de l'argent que son
pere lui avait donne s'etait acquis une belle propriete, et moi je ne
faisais rien. Ma famille etait tres occupee de voir la tournure que
prenait mon esprit, car je devenais de plus en plus morose et taciturne.
Ma mere un jour a la suggestion de mon pere m'en fit la remarque
d'une maniere douce et maternelle. Je lui repondis d'un ton bourru et
grossier. La sainte femme m'ecouta avec etonnement d'abord, comme si
elle n'en pouvait croire ses oreilles ou comme si elle se fut eveillee
d'un mauvais reve, puis tout a coup elle fondit en larmes et m'entourant
de ses bras elle me dit en m'embrassant: "Pauvre enfant, tu souffres
donc bien." Elle ne put ajouter un seul mot, les sanglots la
suffoquerent. Ces larmes de ma mere furent les premieres qu'elle versa
de chagrin, mais elles ne furent pas, helas! les dernieres que virent
couler ses cheveux blancs et dont seul je fus la cause par mon
ingratitude et ma mechancete.
Enfin le jour decisif arrivait, il me fallait sortir de cet affreux
etat.
Un dimanche matin, Octave etait absent, je revenais de l'eglise
accompagnant Marguerite. Je resolus de profiter de l'occasion pour
tenter un dernier effort. Je lui rappelai d'une voix emue les joies, les
plaisirs de notre enfance, combien alors les journees etaient longues et
ennuyeuses quand nous ne pouvions nous rencontrer pour partager nos
jeux et nos promenades. Je remontai ainsi jusqu'au temps present. Elle
m'ecouta d'abord avec plaisir, ne sachant ou je vo
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