mere en m'embrassant,
nous avons invite les voisins a souper, et j'espere que tu vas t'amuser
dans la soiree puisque tous tes anciens compagnons d'enfance avec leur
soeurs sont de la partie.
En effet personne n'avait manque a l'invitation. Les bons voisins avec
leurs enfants etaient venus se reunir a cette fete, et je rougissais
d'orgueil et de plaisir, lorsque je voyais ces braves gens venir me
presser la main avec une consideration qui tenait presque du respect; et
me prodiguer des eloges sur mes succes, en presence des jeunes filles et
de leurs freres.
Le souper fut bien joyeux, les langues deliees par quelques verres de
bon vieux rhum, debitaient mille et mille plaisanteries qui etaient
saluees par des tonnerres d'eclats de rire. Les chants ensuite
succederent aux bons mots, enfin la gaite etait au diapason, lorsque
nous nous levames de table. Ma mere, par une delicate attention, m'avait
fait placer aupres d'une jeune fille plus jolie, plus instruite et plus
distinguee que ses compagnes. Cette jeune fille n'etait pas precisement
belle, elle n'etait peut-etre pas meme jolie, tel qu'on l'entend dans
l'acception du mot, mais sa figure etait si sympathique, sa voix et son
regard si caressants et si doux, qu'elle repandait autour d'elle un
charme et un bonheur auxquels il etait difficile de resister. Sa
conversation etait entrainante, et se ressentait de son caractere aimant
et contemplatif, elle avait une teinte de melancolie lorsque le sujet
s'y pretait, qui donnait a sa figure et a ses paroles quelque chose
d'enivrant. Pendant le souper nous parlames de differentes choses, mais
le sujet sur lequel je me surpris a l'ecouter avec un indicible plaisir,
ce fut lorsqu'elle m'entretint des beautes de la nature. Ce n'etait
certes pas dans les livres qu'elle les avait etudies, ce n'etait pas non
plus dans les ebouriffantes dissertations des romanciers; mais dans le
grand livre de la nature, ou chacun y puise les connaissances et la foi
en celui qui a cree toutes ces merveilles. Elle en parlait avec chaleur
et emotion, et, suspendue ses levres, j'ecoutais les descriptions
qu'elle me faisait. Elles debordaient, pittoresques et animees, comme
une cascade de diamants.
Bref, ai-je besoin de le dire, j'avais alors vingt ans, l'enivrement de
la fete, le sentiment suppose de ma superiorite, les vins qui avaient
ete verses a profusion, les eloges qu'on m'avait prodigues, tout enfin
avait contribue a exalter mon cerveau. Mais lo
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