Apres un examen passe devant le cure et les syndics, qui n'etaient
malins ni en grammaire, ni en calcul, il avait ete decide qu'il etait
capable de nous enseigner l'alphabet.
Or, le pere d'Olbigny etait un homme instruit, profondement instruit.
Il parlait, et ecrivait correctement plusieurs langues anciennes et
modernes; comme nous pumes en juger plus tard.
Son exterieur n'etait rien moins que prevenant en sa faveur. Une balafre
affreuse lui partageait transversalement la figure, et lui donnait une
expression etrange; mais ses yeux etaient si bons, si doux et si charges
de tristesse; ses procedes a notre egard si affectueux et si paternels,
que nous l'aimames a premiere vue et nous nous livrames a l'elude,
crainte de lui faire de la peine. Il nous traitait tous avec la meme
bonte, mais il y avait une classe qui paraissait lui etre privilegiee.
Cette classe se composait de jeunes gens de mon age et j'en faisais
partie.
Ce fut donc en pleurant qu'il recut nos adieux, lorsque nous laissames
l'ecole pour endosser la livree de collegiens.
Un soir, dix ans apres, nous retrouvions les memes condisciples de cette
classe, au coin du feu ou nous avions ete convies par l'un de nous.
Naturellement, nous vinmes a parler de notre temps d'enfance et de notre
cher monsieur d'Olbigny. Il avait laisse nos endroits, et ce fut alors
que l'un de nous, nous informa qu'il habitait une maison ecartee a
quelque distance du village de B...., et qu'il y vivait en veritable
ermite.
Nous decidames, seance tenante, d'aller passer une soiree avec lui.
Il vivait, paraissait-il, dans un penible etat de gene. Plusieurs de mes
amis. etaient riches, une souscription fut ouverte et la bourse qui fut
formee lui fut transmise sous forme de restitution. Il avait, recu par
ce moyen de quoi vivre largement, comparativement, pendant deux ans.
Au jour fixe, personne ne manqua a l'appel.
Le pere d'Olbigny pleura de joie de nous revoir, il nous recut comme
ses veritables enfants. Quelques verres d'eau de vie que nous avions
apportes le rendirent plus expansif. Il nous avoua qu'une main inconnue
lui avait, fait une restitution; cette main, ajouta-t-il plaisamment, ne
peut venir que du ciel, parce que je ne connais personne sur la terre
qui me doive restitution. Ce fut apres un toast pris a sa sante, et
qu'il nous eut affectueusement remercies, qu'il continua:
Il fait bon, mes amis, d'etre jeunes, de voir l'avenir se derouler
devant nous avec t
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