qui m'avaient attire dans ma chambre.
Cependant, je lancais, a la derobee, de brefs coups d'oeil vers mon
vieux canape. Il avait l'air narquois et paterne des gens habitues au
triomphe. Je le regardais avec une fureur desesperee; il se contentait
de bailler par tous les trous de sa tapisserie.
J'allais a la fenetre et observais les nuages d'un air soucieux.
Faudrait-il prendre un parapluie? Non! Je verifiais devant la glace le
noeud de ma cravate. Je feuilletais mon carnet d'adresses et, tout a
coup, sans trop savoir comment cela m'etait arrive, je me trouvais
etendu, tout de mon long, sur le canape. J'entendais, avec mon dos, les
ressorts etouffer un rire insultant.
Qu'importe! J'etais allonge, tout droit, comme une pirogue au fond d'une
crique. Je flottais, j'attendais les courants et les brises. Le demon de
mes nuits nouait autour de ma poitrine une etreinte souveraine et,
enlaces, face contre face, nous nous enfoncions tous deux dans l'autre
monde. Le reveil etait odieux, avec ce corps plus pesant qu'une
montagne et l'aigreur, dans la gorge, des aliments mal digeres.
Je prenais encore une fois ma canne et mon chapeau et m'en retournais a
la rue.
Je pensais par moments avec precision a la place qu'il me serait donne
de rencontrer, d'obtenir. J'imaginais des bonheurs absurdes: j'allais
decouvrir un secretariat, oui, un secretariat! J'aurais un bureau
solitaire, avec une fenetre ouvrant sur un arbre qui me baignerait d'une
clarte verte, fraiche, funeraire. On me laisserait tout a fait seul; on
Finirait meme par m'oublier un peu; je vivais la dans une paix profonde,
je serais tranquille, tranquille, comme mort.
Monsieur, vous allez prendre de moi une idee qui a bien des chances
d'etre fausse. Vous allez penser que j'ai un sale caractere, que je suis
un misanthrope. Moi, un misanthrope! C'est absurde! J'aime les hommes et
ce n'est pas ma faute si, le plus souvent, je ne peux les supporter. Je
reve de concorde, je reve d'une vie harmonieuse, confiante comme une
etreinte universelle. Quand je pense aux hommes, je les trouve si dignes
d'affection que les larmes m'en viennent aux yeux. Je voudrais leur dire
des paroles amicales, je voudrais vider mon coeur dans leur coeur; je
voudrais etre associe a leurs projets, a leurs actes, tenir une place
dans leur vie, leur montrer comme je suis capable de constance, de
fidelite, de sacrifice. Mais il y a en moi quelque chose de susceptible,
de sensible, d'irritable. Des
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