r chez Lanoue, qui m'avait invite a une
petite fete intime.
Un froid sec, piquant, tonique. Marcher etait une joie, meme avec des
semelles trouees. Bien serre dans mon vieux paletot, je partis d'assez
bonne heure: un repas d'ami n'est-il pas meilleur quand il est precede
d'une longue causerie?
L'itineraire m'etait familier. Mes pas, comme ceux des bestiaux parques,
reviennent toujours dans les memes empreintes. Paris est grand, mais,
dans Paris, j'ai mon village. Comme presque tous les hommes je ne suis
capable que d'une petite patrie. Les gens qui parcourent le monde se
croient delivres de toute servitude; ne pensez-vous pas qu'il leur faut
s'improviser une patrie dans leur entrepont de navire ou leur wagon de
chemin de fer? Ils doivent, parfois meme, emporter cette patrie
minuscule dans leur valise, dans leur poche, dans le regard d'un
compagnon cheri.
La rue du Cardinal-Lemoine m'est favorable a la descente. Elle se
precipite vers le fleuve, les bras ouverts. Elle m'entraine, comme un
desir qui veut etre assouvi. Elle est allegre comme une debauche de
forces accumulees.
Puis, c'est la plaine, l'horizon a pleins poumons de la Seine et des
quais, la fluette passerelle de l'Estacade, l'ile et cette greve
provinciale ou Paris semble oublier sa feroce turbulence.
Je revis, une fois de plus, toutes ces douces choses avec des yeux
d'homme heureux. Que cette image me demeure a jamais pour les mauvais
jours.
Lanoue, sorti de bon matin, en vue de menues emplettes, n'etait pas
encore de retour. Marthe, occupee des preparatifs de notre petite fete,
me recut en costume d'interieur: bonnet de dentelle et peignoir
sommaire. Mais ne suis-je pas un peu de la maison?
Le bebe me prit par la main pour me faire voir les tresors trouves
miraculeusement, a l'aube, dans la cheminee. Tout, dans l'appartement
exigu, respirait ce bonheur familial auquel j'ai reve jadis comme a une
terre interdite.
Remonter les jouets mecaniques, assembler les cubes colories, paitre les
brebis de sapin, tout cela me parut fort plaisant jusque vers onze
heures. Comment ensuite s'annonca le desastre? A quel instant precis
apparurent les premiers signes de ma ruine interieure? Voila ce que je
ne saurais vous dire au juste. Il se peut que la cause de tout ait ete
ce peignoir a manches courtes. Il n'est rien qui ne soit pretexte pour
une ame mal defendue.
Marthe est une belle personne, brune et robuste. Elle est d'humeur grave
et enjouee: reser
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