qui sent ses petits en danger.
Ce qu'elle disait alors etait pourtant bien simple. Elle me donnait, par
exemple, quelque commission. Le charme rompu, je posais mon livre et me
mettais en mesure d'obeir. J'etais devenu fort serviable, ce qui, soit
dit en passant, ne m'est pas une vertu naturelle. N'attribuez point ce
changement de caractere au desir de faire excuser mon inaction; non, il
y avait a cela d'autres causes que vous commencez sans doute a
comprendre.
Il arrivait aussi que maman me demandat de poursuivre a haute voix la
lecture commencee pour moi seul. Ma mere manquait rarement d'ajouter:
--Vous savez qu'il avait toujours, a l'ecole, le prix de lecture et de
recitation.
A quoi je repondais d'un air gene:
--Voyons, maman! Tais-toi donc, maman! Pourquoi parler toujours de ces
choses-la?
Ma pauvre mere ne peut pas savoir l'embarras ou nous plonge, nous autres
hommes, l'eloge public de nos vertus ou de nos prouesses enfantines.
Marguerite joignait aussitot ses instances a celles de ma mere:
--Vous lisez si bien!
Je ne me faisais pas trop prier. Je lisais pendant des heures entieres.
Les deux femmes ecoutaient sans interrompre leur besogne, mais en
amortissant avec soin tous les bruits. Parfois, maman aspirait une
petite prise de tabac; elle le faisait discretement, presque en
cachette, car elle sait que je n'aime pas a la voir priser, moi qui fume
toute la journee, moi qui suis gate par toute sorte de vices, de manies
et de tics.
De temps en temps, l'aiguille de Marguerite s'arretait de voleter comme
une mince flamme bleue tenue en laisse. Les mains au creux de sa jupe,
Marguerite ecoutait. J'apercevais sa bouche entr'ouverte et ses yeux
fixes sur moi.
Je me grisais, a la longue, de toutes ces paroles qui n'etaient pas
miennes, mais me tombaient pourtant des levres. Je n'etais plus bien sur
de n'avoir pas pense moi-meme toutes ces belles choses qui s'exprimaient
par ma voix et quand Marguerite, au comble de l'emotion, murmurait en
cassant son fil: "Comme c'est beau! Comme c'est beau!" j'acceptais cette
louange ainsi qu'un hommage que j'eusse personnellement merite.
Je parlais peu, d'ordinaire, a Marguerite. Un jour, toutefois, maman
dut, pour je ne sais plus quelle raison, s'absenter un apres-midi. Je
restai seul avec Marguerite et, comme de coutume, je vins m'asseoir dans
la salle a manger. Pendant une heure, je tins fixes sur un livre des
yeux qui ne voyaient rien. Je me sentais le coeu
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