r gonfle, les mains
tremblantes. Il me venait un desir ardent de parler a Marguerite, de lui
dire les choses affectueuses. Mais, voila, je ne sais pas dire les
choses affectueuses, moi. Je laissai passer l'apres-midi sans parvenir a
ouvrir la bouche. J'en fus si desespere que, le soir venu, je me
repandis en propos amers, en propos decourages, decourageants. Ah! pour
dire des mots desagreables, des duretes, ma langue se delie toute seule.
Je n'eus aucune difficulte a navrer Marguerite, a l'accabler sous un
flux de paroles qui etaient, precisement, tout le contraire de ce que
j'eprouvais si grand besoin de lui confier.
Elle ecoutait sans repondre; puis, elle eut un regard si triste, si
charge de reproches que je baissai la tete et lui demandai pardon en
begayant.
--Oh! dit-elle, ca ne fait rien. Je sais bien que vous etes bon et que
vous ne pensez pas tout ce que vous venez de me raconter.
"Bon!" Moi? Je suis bon! Moi? Ah! Par exemple! Tout de suite les propos
amers reprirent leur cours, jusqu'au moment ou, completement ecoeure de
moi-meme, je mis mon chapeau pour sortir.
Il ne faut pas pardonner trop vite a Salavin.
XVII
Je crois toutefois n'avoir pas trop tourmente Marguerite pendant cette
periode-la. Je crois. Je ne suis sur de rien. Les gens a qui nous devons
nos pires souffrances ont si rarement conscience de leur cruaute. Il en
est qui s'imaginent m'avoir comble de leurs faveurs et que je considere
en fait comme mes mauvais genies.
J'entretenais des relations, pendant mon adolescence, avec un cousin que
j'aimais beaucoup. Je m'employais a seconder ses entreprises, a louer
ses merites, a pallier ses erreurs. Quel que fut mon scrupule, je ne me
pouvais trouver aucun tort envers lui. Or nous eumes, un jour, une
querelle; a cette occasion, mon cousin m'ouvrit son coeur: j'y decouvris
de vivaces ressentiments, des griefs qui, longtemps caches, n'en etaient
que plus redoutables et qui, helas! ne me parurent pas denues de
fondement, bref, tout un tresor de haine dont je me trouvai l'objet
desespere et la cause.
Comment affirmer que l'on n'a pas fait souffrir un homme alors qu'on l'a
regarde, fut-ce une fois, alors qu'on a traverse sa vie, meme en pensee?
Ce qui me donne a croire que, pendant ce mois de novembre, je ne fus pas
le bourreau de Marguerite, c'est que je reservais mes mouvements
d'humeur pour Lanoue.
J'allais--ne vous l'ai-je pas dit?--le voir chaque jour, soit au moment
du dejeun
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