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Je relus ma lettre. Les termes, qui m'en avaient paru si nets,
l'avant-veille, me semblerent, cette fois, preter a toutes les
equivoques. De nouvelles bouffees de rougeur me monterent au visage.
Dieu! Que j'avais ete bete, bete, bete! Et ridicule, oh! ridicule!
Devant mes yeux, le mur, aussi droit, aussi lisse, aussi froid que
jamais. Rien a faire! Et, surtout, un courage si chancelant, un courage
si fragile. Et si peu de raisons d'estime. Et ce torrent de choses
laides, au travers de l'ame. Ce combat! Cette defaite!
Ma mere appela soudain:
--Louis, viens diner, mon enfant.
Fallait-il me plaindre? Osais-je me plaindre? N'avais-je pas une mere?
N'avais-je pas de quoi diner? N'avais-je pas cette petite chambre, cette
retraite profonde et secrete comme une coquille? Ah! Les escargots ne
connaissent pas leur bonheur.
La salle a manger demeurant encombree par les travaux de couture, nous
dinames dans la cuisine. Depuis la veille, Marguerite, pour gagner du
temps, dinait avec nous; c'etait un arrangement entre elle et ma mere.
Je ne vous ai pas beaucoup parle de Marguerite. Eh bien, si ca ne vous
fait rien, ne parlons pas de Marguerite.
Elle etait assise a l'un des bouts de la table. J'occupais l'autre bout;
j'avais l'evier a gauche et le buffet de bois blanc a droite: ma vraie
place dans la vie. Maman etait entre nous deux et, de temps en temps,
elle se retournait pour surveiller quelque chose qui cuisait sur le gaz.
Les femmes poursuivaient leur conversation de la journee, une
conversation sans fin, comme leur travail. Ce dialogue avait l'air d'un
monologue tant Marguerite et maman se ressemblent. Oh! non pas
physiquement, mais par le coeur, par certaines facons de souffrir la vie.
Je ne parlais guere, je n'ecoutais guere. Un mot pourtant, le mot
malheur, ce mot qui revient sans cesse dans les propos des femmes,
m'accrocha l'esprit au passage. J'ouvris la bouche et je dis quelque
chose de tres ordinaire, je dis a peu pres:
--Le malheur, le malheur! Il ne faut pas que ca dure trop longtemps,
parce qu'alors ca n'a plus de raison de ne pas durer toujours.
Ma mere allait porter a sa bouche une cuilleree de potage qu'elle reposa
dans son assiette. Elle hocha la tete sans me regarder et dit a mi-voix,
comme pour elle-meme:
--Voila! Ce qu'il dit la, c'est son pere, tout a fait son pere.
Ah! Non! Non! Avouez qu'il y a de quoi desesperer! Si mon pere s'en
mele, maintenant! Si mon pere, que je n'ai pas
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