connu, si d'autres gens,
dont je ne sais absolument rien, se melent de moi, avouez qu'il y a de
quoi devenir fou. Je ne parviens pas a me trouver; s'il faut que je me
cherche au milieu d'une foule, au milieu d'un tumulte, je renonce, je
renonce!
Inutile de vous dire que je pensai toutes ces choses, mais que je ne
proferai pas un mot.
Neanmoins, une partie de mes reflexions devaient se laisser voir sur ma
figure, car, en relevant les yeux, je rencontrai les yeux de Marguerite,
des yeux si charges de reproche et, me sembla-t-il, de compassion, que
je m'arretai net, c'est-a-dire que je m'arretai de penser comme je
pensais, que je m'arretai de rouler sur ma pente.
Si la terre, qui s'en va toute seule a travers le vide, rencontrait
soudain les pensees d'un autre monde, elle s'etonnerait sans doute comme
je m'etonnai ce soir-la.
XIII
Des le lendemain matin, un peu avant huit heures, je me remis a louvoyer
en vue du kiosque de la place Maubert. A vrai dire, je n'avais aucune
confiance, je voulais surtout faire quelque chose, jeter un os a ma
conscience irritee. Faire quelque chose, oui! n'importe quoi, plutot que
cette perpetuelle contemplation du dedans.
L'affiche parut. Je la parcourus d'un regard morne. Un a un, les gens
qui la dechiffraient comme moi s'en furent et je restai bientot seul.
Non, pas seul. Quelqu'un, derriere moi, se mit a parler. Une voix
zezayante, malade, vermoulue disait:
--Connu, tout ca! Rien de vraiment remarquable dans tout ca! Des trucs
uses qui roulent tous les bureaux de Paris depuis trois semaines. Moi,
je vais rue des Halles.
Je suis peu enclin a lier conversation avec les gens que je rencontre
dans la rue. J'affectai donc de n'entendre point cette voix qui
murmurait a mon oreille. Je m'absorbai dans la lecture de l'affiche et
j'evitai de me retourner.
Alors la voix reprit:
--Vous ne venez pas rue des Halles?
Il y avait, dans ces paroles, un accent si engageant, si timide, si
triste que je fis volte-face.
Vous connaissez peut-etre cet homme-la; on le rencontre souvent dans
notre quartier et je me rappelai l'avoir vu errer dans les petites rues
qui avoisinent le Pantheon.
Il est de taille mediocre. Le buste long, les jambes courtes. La
maigreur des animaux mal nourris. Une large taie bleuatre sur l'oeil
droit; les cils colles, les paupieres blettes. Des cheveux sans teinte
precise: des cheveux incompatibles avec toute espece de reussite
sociale. Une moustac
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