bre et de moi-meme. Ils
nouaient et tortillaient autour de mon ame une farandole tourbillonnante
et, des lors, le temps s'arretait au milieu de l'eternite comme un
navire paralytique sur une mer de sirop. Cela durait jusqu'a ce que ma
mere vint ouvrir doucement la porte, non sans avoir fait trois ou quatre
fois: "hum! hum!" Alors les reves filaient comme des rats sous la
commode et la torpeur me desertait.
--Louis, disait maman, veux-tu que je fasse ton menage?
--Oui, oui, criais-je en me hatant de me vetir.
Le savon avait seche sur mes joues, il ne me restait plus assez de temps
pour me raser. Je passais, au galop, ma veste et mes chaussures et
sortais de la chambre en disant:
--Je m'en vais aller voir cette place d'expeditionnaire. Tu sais? Cette
etude d'avoue....
--Va, mon Louis, repondait maman en remuant a pleins bras le lit de
plumes et le traversin, comme si ces objets n'eussent pas ete habites
par une multitude de figures vivantes que j'etais seul a connaitre.
Je prenais mon chapeau et ma canne, bien qu'on m'eut, lors d'une recente
demarche, fait observer que, pour un employe, la canne donnait une
allure "amateur" peu recommandable, et je tirais derriere moi la porte
du logement.
A peine cette porte fermee, je voyais la clarte louche de l'escalier
s'animer d'une foule d'images rampantes, bondissantes, caressantes. Mes
demons etaient la. Ils m'attendaient, comme des chiens qui veulent etre
emmenes a la promenade. Ils m'entouraient en jappant, me lechaient les
mains, sautaient a mes trousses et, tout en descendant les marches
humides et usees, je me debattais entre mille reves fabuleux, comme un
noye qui coule a pic.
VIII
Je m'en allais au hasard des rues, et la journee etait devant moi comme
un desert calcine, sans horizon et sans surprises. Ceux qui disent que
la vie est courte, ils me font rire, entendez-vous, rire, rire! Ce sont
les annees qui sont courtes, mais les minutes sont longues et ma vie, a
moi, n'est faite que de minutes.
Je suivais le trottoir, marchant de preference sur la bordure de granit.
Je laissais le bout de ma canne tremper dans le ruisseau. J'aime les
ruisseaux des rues. Ils coulent sur des paves et tarissent a heure fixe,
je sais; ils ne naissent pas d'une source, mais d'un robinet de fonte.
Tant pis! On n'a jamais que la poesie qu'on merite. J'ai passe une
partie de mon enfance, malgre ma pauvre maman, a pecher des epingles
rouillees et des boutons de bottin
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