tif, autant leur brillante voisine
paraissait recherchee dans sa toilette, dedaigneuse et gourmee. Elle se
croyait formee d'une substance toute divine, et n'abaissait que rarement
ses yeux sur les pauvres habitants des campagnes, qu'elle regardait
comme une race brute et degeneree, que la Providence avait jetee sur
terre pour y travailler sans relache, servir les personnes riches et
s'humilier devant elles.
Cette diversite d'opinions apportait une grande difference dans
l'existence sociale des jeunes voisines. Leurs gouts et leurs
occupations n'avaient aucune analogie. Briller, eblouir, humilier,
etaient la jouissance de l'une; s'instruire, s'amuser gaiement et se
faire aimer, tels etaient l'usage et la devise des autres. Les deux
familles toutefois se voyaient assez frequemment. Monsieur et madame
de Fontenelle, en venant dans un elegant equipage chez le colonel de
Saint-Marc, etaient forces de rabattre un peu de leur vanite. Le vrai
brave n'humilie personne; mais il ne supporte jamais qu'on prenne avec
lui le moindre ton de hauteur. Et, lorsque le directeur general, dont le
principal merite etait de connaitre le prix des grains des principaux
marches du departement, voulait, dans la conversation, lutter avec un
militaire d'un savoir profond, il eprouvait que le vrai merite est
encore au-dessus de l'or, qui ne peut procurer que des jouissances
ephemeres lorsqu'on ne l'emploie qu'a satisfaire une sotte vanite.
Adrienne se voyait donc, a l'exemple de ses parents, contrainte de
traiter mesdemoiselles de Saint-Marc avec une egalite simulee, avec
une affection qui ne pouvait partir du coeur; mais Hortense et Celine
n'etaient point dupes de ces dehors etudies, de ces epanchements forces
par la necessite. Spirituelles autant que bonnes, elles s'apercevaient
de l'adroit manege auquel se livrait leur jeune voisine. C'est en
vain que celle-ci se disait leur amie la plus intime; elles savaient
apprecier a leur juste valeur toutes ces protestations d'un orgueil
deguise, toutes ces expressions mielleuses de _ma chere... mon ange...
ma toute belle..._ etc., et souvent elles s'en amusaient en secret.
Un mariage etait projete depuis longtemps entre la premiere fille de
basse-cour du chateau de M. de Saint-Marc et le fils d'un des principaux
vignerons du directeur general. Ces deux jeunes gens s'aimaient depuis
leur enfance; et, doues l'un et l'autre des qualites analogues a leur
condition, appartenant a d'honnetes familles d'agri
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