le pont. Je suis alle chez le capitaine pour porter
plainte. Le capitaine parle une sorte de flamand maritime; il me
comprend. Mais il m'a jete quelques jurons a la figure, et m'a dit que
chacun devait tacher d'avoir sa part de la gamelle: tant pis, dit-il,
pour les paresseux.
--Il a raison, il faut essayer de suivre son conseil.
--Essayer, messieurs? Ce n'est pas necessaire. J'ai mange toute ma vie a
un plat commun. S'il ne s'agit que de manger vite, d'avaler les feves a
moitie brulantes, j'apprendrai leur metier aux Francais d'en bas.
Attendez un peu! ils verront bientot a qui ils ont affaire. Qu'ils
frappent ou poussent tant qu'ils voudront, tout cela glisse sur moi; a
l'occasion, je leur donnerai aussi des coups de pied a leur ecorcher les
jambes. Que croient-ils donc, ces ribauds?"
Victor ajouta quelques paroles consolantes pour calmer la colere du
jeune paysan; mais ce fut peine superflue, car Donat oublia tout a coup
sa mauvaise humeur et redevint joyeux. Voyant que les Anversois allaient
continuer leur promenade, il leur demanda a mains jointes la permission
de rester un peu avec eux. Personne, dans l'entrepont, ne le comprenait
ni ne lui temoignait d'amitie. Ils consentirent a sa priere; car Donat
Kwik, malgre son air grossier, etait un garcon de sens, et il se
montrait profondement reconnaissant de la moindre marque d'amitie.
Pendant la promenade, Jean parla en plaisantant de la fille du
bourgmestre et de la demoiselle du chateau avec laquelle Donat avait
l'envie de se marier a son retour du pays de l'or. Le jeune paysan
devint serieux, et il resulta de ses explications qu'il portait au coeur
un amour plus modeste. Il avait fixe son choix depuis des annees sur une
des filles du garde champetre de Natten-Haesdonck, et la jeune fille
n'etait pas indifferente pour lui; mais le pere, qui possedait quelques
pieces de terre, l'avait repousse avec mepris parce qu'il etait trop
pauvre, meme apres que sa tante lui eut laisse seize cents francs. Ce
que Donat avait dit de la fille du bourgmestre et de la demoiselle du
chateau n'avait ete qu'un vain bavardage, ce n'etait qu'Anneken[1],
la fille du garde champetre, qui lui trottait dans la tete. Il avait
quitte son village par honte et par desespoir de ce que le pere
d'Anneken l'avait jete durement a la porte, lorsqu'il s'etait hasarde a
exprimer le voeu de son coeur. La seule cause de son voyage au pays de
l'or etait le desir de se venger du garde champetre en mett
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