reves de poetes. Anacreon s'y noyait dans le lac de
Lamartine.
Qui l'eut cru? Arpajou, lui aussi, aimait sa femme. Mari stupide, il
ressentait sa honte et remachait son malheur. Depossede d'un bien sur
lequel il s'arrogeait vingt droits legitimes et qu'il ne partageait meme
plus avec son voleur, il ne put resister a son reel martyre, il tua
l'amant de sa femme. Un duel fut le pretexte de cet assassinat. A dater
du jour ou elle n'eut plus cet amant pour vivre, Delphine cessa pour
ainsi dire d'etre femme. Elle ne descella plus les levres. Muette,
fantomatique, hagarde, elle vieillissait chaque jour d'un an, et le
triste Arpajou trepassa de douleur a son tour sans avoir reentendu la
voix, sans avoir revu le regard de l'implacable desolee.
Ce fut alors que, doublement veuve, Delphine versa dans la devotion et,
selon le mot de son directeur de conscience, s'abima en Dieu. Mais la
piete entraine au mysticisme, et l'on sait que, du domaine de la foi au
domaine des sciences occultes, la limite flotte indecise. C'est au pied
des autels flamboyants, dans les confessionnaux chuchotants, parmi les
aromates hallucinatoires et sous le vent des orgues que les doctrinaires
de la psychomancie recrutent le plus grand nombre de leurs proselytes.
Et l'heure sonna au cadran de la logique ou ma vieille amie Mme Arpajou
se mit, au sortir des offices et communion recue, a faire tourner
des tables. Je la rencontrai a cette epoque. Curieux de frotter mon
scepticisme aux phenomenes de l'au-dela, je hantais dans le monde
spirite. En outre, j'avais beaucoup connu l'amant dont la perte
entenebrait cette ame, et le hasard d'une causerie le lui ayant appris,
elle avait accroche son eternelle douleur a mes souvenirs de jeunesse.
Un jour elle me parla franchement de lui. Elle m'avoua qu'elle etait en
communication constante avec l'esprit du bien-aime. Il ne la quittait
pour ainsi dire point, flottant autour d'elle, et l'enveloppant de sa
presence impalpable.
--Non seulement, me dit-elle, il n'a point cesse de m'aimer, mais il
m'aime de plus en plus, il me desire, il m'appelle, il m'attire, il
pleure, et son desespoir me laisse brisee. Je ne tarderai point a le
rejoindre, je le sens et l'espere.
Je lui donnai a observer que, pour que son depart fut efficace et suivi
d'une bonne arrivee, il convenait d'abord de savoir en quel lieu de
l'au-dela le cher amant residait, et qu'il y allait de leur reunion.
--Selon la foi que vous confessez, fis-je
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