odyssee de ce Dieu successivement transforme, aneanti et
finalement retrouve. C'est tout un _avatar_ dont le sens reste souvent
une enigme.
Loin de nous toute pensee d'ironie! Ces choses sont graves, et il
faudrait etre miserablement gai pour en rire; d'ailleurs ces idees
philosophiques et sociales ont vecu dans une ame sincere, c'est assez
pour que l'on n'en plaisante pas. J'accorde de grand coeur mon respect,
non aux theories elles-memes, mais au loyal enthousiasme qui les a
embrassees. Au reste, il faut bien le dire, ces doctrines sont mortes,
et bien mortes; elles ont succombe sous leur impuissance en face des
faits, et le socialisme doctrinal de 1848 a ete trouve incapable de
resoudre pratiquement le plus mince probleme. Mais ce qui n'est pas
mort, ce sont les problemes eux-memes; ce qui n'est pas mort, c'est la
necessite economique et morale de les poser, et d'en chercher au moins
la solution partielle. Ce qui n'est pas mort, enfin, c'est la misere et
l'imprescriptible obligation, pour quiconque a une conscience et du
coeur, de devouer une part de sa pensee et de sa vie a ces souffrances
de nos freres inconnus. Les theories de ce temps-la sont bien finies, je
le crois, mais la cause qui les a fait naitre leur survit, et ce n'est
pas trop dire que de declarer que cette cause est celle meme du
christianisme, que ces deux causes n'en font qu'une, et que nul n'est
vraiment ni chretien ni philosophe qui n'est pas resolu a opposer aux
tristes conquetes de la misere l'effort croissant de la sympathie et du
devouement. Ne nous inquietons pas trop de savoir si le progres est
indefini et continu. Nous savons, en tout cas, qu'il n'est pas fatal et
qu'il depend de nous. Travailler au progres partiel, sur un atome de
l'etendue, sur un point du temps, c'est peut-etre tout ce que nous
pouvons faire, faisons-le. Occupons-nous moins d'aimer l'humanite de
l'avenir que les hommes qui sont pres de nous, a la portee de notre main
et de notre coeur. Tout cela n'est pas chose nouvelle, c'est le
socialisme de la charite, et c'est le bon.
Qui de nous ou de Mme Sand se trouve le plus rapproche de M. de
Lamennais, la seule intelligence vraiment philosophique qu'elle ait
connue? Avait-elle lu ces admirables lignes dans les _Oeuvres
posthumes_: "On ne saurait tromper plus dangereusement les hommes qu'en
leur montrant le bonheur comme le but de la vie terrestre. Le bonheur
n'est point de la terre, et se figurer qu'on l'y trouvera est le plu
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