e a la haine.
L'_Homme qui Rit_ est fait du contraste de la passion ideale et de la
passion voluptueuse; les _Miserables_ sont la lutte de l'individu contre
la societe, les _Travailleurs de la Mer_, celle de l'homme contre les
elements. _Quatre-vingt-treize_, celle du droit divin contre la
Revolution, du principe girondin contre le principe Saint-Just,
personnifies en Lantenac, Cimourdain et Gauvain.
Nous touchons ici a la facon dont M. Hugo entend l'ame de ses
personnages. De meme que ses phrases, ses poemes, ses recueils, ses
romans et ses drames sont le developpement d'antitheses de plus en plus
generales, ses personnages sont presque tous de nature double, comme
dimidies portant en eux la lutte constante ou passagere de deux passions
adverses, constitues contradictoirement dans leur ame et dans leur
corps, devoyes par une crise qui retranche leur existence anterieure de
leur existence actuelle. Marie Tudor est reine et amante; en Gwynplaine
la laideur physique offusque la beaute morale; le forcat 24601 devient
en quelques heures le plus noble des hommes, et le sultan Mourad,
toujours inexorable a tous, eut un instant pitie d'un porc.
Se bifurquant en de plus generales oppositions, l'antitheisme divise
donc toute l'oeuvre de M. V. Hugo, des mots aux ames, du plan d'une
anecdote a celui d'un roman en huit cents pages, d'une fable a une
trilogie, de la succession des strophes au principe de l'esthetique,
qui, exposee dans la preface de _Cromwell_, se resume dans le melange de
deux contraires, le comique et le tragique.
Et de meme que les tendances formelles dominantes, que nous devons
analyser, aboutissent l'une a des redites profuses, l'autre a une
obscurite sentencieuse, la pratique constante de l'antithese semble
avoir laisse des traces nocives en une des tendances caracteristiques de
M. Hugo: A force de diviser son attention entre les deux termes
contradictoires qu'il oppose sans cesse, de sauter de chaque objet a son
oppose, de tout diversifier et de tout confondre, il semble comme si M.
Hugo ne peut plus concentrer son activite intellectuelle en un seul
point ou en un seul ensemble. La pensee comme la langue du poete se
desagregent par endroits. De la, des hachures de style, l'abus de
l'apostrophe, les phrases sans verbe, le style monosyllabique et
sibyllin des grands passages. De la, la tendance marquee aux
digressions, les dix phrases formant tableau eparses en dix pages, comme
en ce merveilleux portrait
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