utent a une obscurite delicieuse et
irritante sa joue, son front, une fanfiole de sa toilette et vous
montrent un instant son visage de tenebres, aux yeux emplis d'une
douce couleur de violette.
C'est dans la notation de ces sentiments tenus, delicieux et troubles
qu'eclate la maitrise de M. de Goncourt, dans le rendu tatonnant,
repris, pousse, flottant et enlaceur de ces mouvements d'ame vagues et
inapercus de tous, dans la description de l'ivresse languissante que
causent a Cherie la musique ou un effluve de parfums, dans la sorte
d'extase hilare de deux clowns tenant un tour qui stupefiera Paris, dans
la vague stupeur d'ame qui vide peu a peu la cervelle d'une prisonniere
hysterique. Grace aux infinies ressources de son style et au biais
particulier de sa manie observante, il est parvenu a saisir quelques-uns
des faits profonds et obscurs de notre vie cerebrale. L'organisation de
ses sens et de son style ressemble a ces instruments infiniment
complexes mais infiniment sensibles de la physique moderne qui
saisissent des phenomenes et permettent des approximations inconnues aux
anciennes machines. Et qui voudrait se plaindre de cette delicate
complexite, cause et condition d'une science plus vraie?
III
A ce sentiment vif et penetrant de la vie en acte, de ses remuements
physiques et des ses agitations morales, a cette recherche appliquee et
reprise de l'enveloppement du fait par la phrase, se joint en M. de
Goncourt le gout particulier d'une certaine sorte de beaute, qu'il
recherche avidement et rend amoureusement, dont l'attrait l'a guide dans
ses courses de collectionneur, dans la determination des sujets et des
scenes de la plupart de ses romans: le gout passionne du joli. Ce
penchant qui le conduisit a recueillir les dessins du XVIIIe siecle, a
etudier en toutes ses faces et a faire revivre en son entier cette
epoque de la grace francaise, qui lui fit aimer dans les objets du Japon
leur puerilite, l'ingenu et l'impromptu de leur art, penetre et
determine ses oeuvres d'imagination, leur infuse comme une nuance et un
parfum a part, les farde et les poudre.
A une epoque ou le souvenir du romantisme remplit les romans realistes
et les scenes brutales, de grands chocs tragiques et sanglants, de
raffinements maladifs, M. de Goncourt a conserve le sens des choses
naturellement charmantes, de la poesie dans les incidents journaliers,
des ames delicates de naissance, de ce qui est vif, simple et g
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