envahit et sterilise le domaine des sentiments, frappe d'une atonie
definitive l'ame qu'il a mortellement charmee.
Le heros du livre est a la fois raisonneur et analyste. S'aidant de
Schopenhauer, il s'efforce de mettre sa melancolie en systeme et de se
faire illusion sur les causes de son humeur par un expose didactique,
qui demontre en toutes choses la cause necessaire du mal. Cet apparat
scientifique n'est qu'un semblant; le pessimisme que decrit la _Course a
la Mort_ a d'autres origines qu'une conviction speculative. Celui que ce
livre nous confesse est atteint plus profondement que dans son
intelligence; il est malade de la volonte et de la sensibilite, il se
sait vaguement frappe au centre de son etre et s'entend a demeler dans
la contemplation de sa ruine morale les plus secrets symptomes.
Il ne profere plus les plaintes d'il y a un demi-siecle, il n'accuse ni
le monde, ni la societe, ni la destinee. Il ne reproche pas aux hommes
de ne point le comprendre, il reve a peine de vivre une existence enfin
fortunee, dans des siecles passes, en des contrees distantes. Apres tous
ses predecesseurs il devine le premier que son mal est en lui et
qu'aucune variation fortuite dans les circonstances ne l'en guerirait.
Sachant les hommes innocents de sa tristesse il consent a les plaindre
de subir comme lui tout l'odieux d'une existence qu'il hait, et dont le
console le seul et vain souci de se connaitre.
L'impuissance de sa volonte, qui est la cause et le fond de son
infortune, est par lui subtilement analysee; il distingue le penchant a
suppleer aux actes par de vagues reves, sa depravation morose qui le
porte a se regarder faire dans le peu qu'il fait et a se rendre ainsi de
plus en plus incapable de toute action spontanee; enfin apparait ce
dernier symptome de la decadence volitionnelle, la lassitude anticipee,
le degout preventif qui detournent meme de tout desir, de tout reve
d'entreprise et bornent definitivement en son incapacite le malade et le
moribond que M. Rod etudie: "Oui, le desir et le degout se touchent,
alors de si pres qu'ils se confondent et ne font plus qu'un et je les
sens qui me travaillent tous les deux a la fois. Ma chair encore
fremissante des vrilles de celui-la, s'apaise dans le lit d'insomnies et
de cauchemars ou celui-la la pousse. Ma pensee en marche s'arrete
soudain et recule meurtrie comme un bataillon decime dans une embuscade,
jusqu'aux retranchements du silence. Ou est la force qu'une
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