use, nous
pensons de plus en plus a l'anglaise, nous sentons de plus en plus a
l'allemande. Notre scepticisme a subsiste; mais il veut maintenant
approfondir les questions suspectes, et, a cet effort, il a perdu toute
gaite et toute popularite. Nos arts et nos vies tendent de plus en plus
a depouiller la joie. Et c'est avec une avidite accrue par tous ces
motifs de tristesse, que nous cherchons une reponse a l'interrogation de
Panurge. Nous avons les voyages, la dure distraction du travail, la
chasse, le jeu, ce que Pascal appelle, "les plaisirs tumultuaires de la
foule". Mais les plus clairvoyants considerent que ce sont la des
palliatifs plus que des remedes. La facon d'envisager la vie a revetu
chez notre elite des formes douloureuses qui different peu du pire
pessimisme. "Le meilleur fruit de notre science, dit M. Taine, dans un
des livres les plus humoristiques de notre temps, est la resignation
froide, qui reduit la souffrance a la douleur physique." L'on ne pourra
s'empecher de penser que ce fruit est amer, petit, a portee de peu de
mains, et que depuis trois siecles, nous nous sommes beaucoup eloignes
de Rabelais et du pantagruelisme.
NOTES:
[Note 16: _Panurge_, n deg. I, octobre 1882.]
DE LA PEINTURE[17]
A PROPOS D'UNE LETTRE DE M. J.-F. RAFFAELLI
I
Le Salon de cette annee, les reflexions qu'il a suggerees dans ce
journal s'etaient bien eloignes deja de la memoire de leur auteur, quand
tableaux et commentaires lui furent rappeles par une conversation
fortuite dont l'echo lui parvint. Un de ses amis eut l'occasion de
visiter le peintre J.-F. Raffaelli a Jersey; l'entretien vint a porter
sur les articles que l'on a pu lire dans la _Vie Moderne_; ils se
resumaient en somme en une predilection marquee pour les peintres
_emotifs_, si l'on peut dire ainsi, les peintres donnant une emotion de
couleur, et pour leur representant, M. Whistler. Les remarques de M.
Raffaelli, qui, comme on le sait par sa preface du catalogue de son
exposition en 1884, est un theoricien de son art, parurent extremement
interessantes, et grace a la personne qui servait de truchement, il fut
possible d'en obtenir un expose par ecrit. Ces notes soulevent la
question du but, c'est-a-dire de l'essence meme de la peinture. Elles
seront envisagees et discutees a ce point de vue.
"La critique du Salon dans la _Vie Moderne_, dit M. Raffaelli, se borne
a l'eloge de M. Whistler. C'est dans son oeuvre, en general, un
excell
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