ent peintre et un des dix plus beaux d'aujourd'hui. Mais est-il
juste de donner la place supreme a un art semblable, surtout lorsqu'il
est represente dans une exposition par le portrait de Sarasate, et de
faire fi d'autres recherches? Que dirait-on d'un critique litteraire qui
placerait Dostoievski en premiere ligne du mouvement des lettres
contemporaines? _Crime et Chatiment_ est admirable parce que ce roman
est appele a peindre l'hallucination criminelle, mais le peintre qui
entoure d'une pareille hallucination indifferemment un violoniste
mondain, une jeune femme charmante, Carlyle, ou de delicieux enfants
roses est absurde, parce que ces oeuvres sont absurdes et morbides,
parce que l'absurde et le malade ne peuvent pas rationnellement
pretendre prendre jamais place dans notre admiration.
"Certes, je reconnais l'importance qu'il convient de donner a
l'hallucination comme facteur de la civilisation a une epoque ou
l'illusion religieuse vient a nous faire defaut; je reconnais aussi que
toute oeuvre d'art resulte d'une hallucination. Mais l'hallucination n'a
justement ce pouvoir civilisateur admirable que lorsqu'elle renferme,
detient et porte l'enthousiasme sur un caractere important, enthousiasme
admiratif par amour, ou caricatural par haine. Tous les maitres peintres
sont la pour affirmer ce que j'avance; voyez l'enthousiasme de l'apparat
grandiose chez le Venitien Veronese, de la foi chez les croyants, Fra
Angelico ou Pinturicchio, ou de la haine vivifiante de la vilaine petite
bourgeoisie de 1830, chez Daumier. Je pourrais les citer tous et nous
trouverions toujours la meme chose: enthousiasme pour un caractere
dominant a une epoque et dans une societe donnee, interprete en
admiration par amour, ou en haine par amour de la vertu contraire au
vice decouvert."
M. Raffaelli poursuit, en discutant, les appreciations qui ont paru ici
meme sur ses tableaux de l'Exposition de la rue de Seze. Nous avions
dit: "M. Raffaelli devient de mieux en mieux un peintre exact de types
et d'expressions, un portraitiste de physionomies humaines."
--Or donc, n'est-ce rien que cela, s'ecrie M. Raffaelli; grand merci si
on fait fi de pareilles recherches. On ajoute: "qui malheureusement
verse dans la caricature." Mais que l'on me dise un peu quel tableau
doit naitre sous mon pinceau quand le sentiment que j'ai de la scene que
je veux rendre est un sentiment d'ironie ou de colere. D'ailleurs ce
mepris de la caricature me froisse parto
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