ion qu'elles nous
auront fournie ne rend pas compte egalement des facultes mentales du
poete.
M. Kussmaul (_Troubles du langage_) expose que l'acte de parler se
decompose en trois phases: l'impulsion interne, intellectuelle et
emotionnelle; l'expression interieure; l'expression proferee. Or, nous
avons discerne en M. Hugo, des le debut, l'habitude de repeter en
plusieurs formules diverses une seule pensee, de sorte que fort souvent
dans tout un chapitre et tout un poeme, peu d'idees distinctes sont
emises. Il semble donc qu'en lui, a une seule impulsion de l'ame, a une
conception, a une emotion, a une vision interieures, correspondent une
multitude d'expressions, qui se presentent tumultueusement, s'ordonnent,
se rangent et sont issues de suite, tandis que les facultes
intellectuelles restent inactives, attendant que ce flux ait passe, pour
reprendre leurs fonctions intermittentes. Que l'on admette ce don
d'exprimer longuement et de penser peu, de developper magnifiquement et
abondamment, le moindre jet d'emotion et d'idees; que l'on se figure en
outre que pendant ces successives remissions de l'intelligence, M. Hugo
porte dans sa conscience non plus des pensees, mais de purs mots; tout
deviendra clair. Un esprit presentant cette anomalie de ne penser guere
qu'en paroles, devra s'exprimer en antitheses et en images, devra
simplifier et grossir la realite, devra parfaitement rendre le
mysterieux et le monstrueux, en vertu du mecanisme meme de notre
langage.
Chez lui, chaque idee, au lieu d'en suggerer une autre, de se propager
de terme en terme, du debut a la fin d'une oeuvre, s'etant immediatement
fondue et comme dissipee dans l'abondance d'expressions qu'elle
dechaine, ne subsiste pendant une duree appreciable qu'en mots. Ceux-ci
comprennent d'abord les termes propres et synonymes, puis les termes
analogues, enfin, et, necessairement, les termes metaphoriques. De meme
le poete s'exprime, en effet, par des mots justes, puis par des mots
detournes, puis par des images. Et celles-ci etant l'equivalent non de
l'idee, depuis longtemps oubliee, mais des premiers mots dans laquelle
elle etait concue, il suit qu'elles paraitront d'habitude imprevues,
incoherentes, neuves et curieuses aux personnes habituees a penser en
pensees. De meme, c'est grace a ce rapport lointain entre l'image et
l'idee que M. Hugo parvient a figurer parfaitement, en apparence, des
idees ou abstraites ou impensables, et qu'il se trouve amene a trait
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