'emparer de themes
tout faits pour donner libre cours a sa faculte de parolier. Mais il est
un domaine ou le vulgaire ne peut meme le mal renseigner. C'est celui de
l'ame humaine, et ici encore M. Hugo s'en tire par des mots.
Quand on dit, sans trop y songer: un heros, un vieillard, une jeune
fille, une mere, nous apercevons vaguement quelque chose de fort net et
de fort simple. Un heros est un beau jeune homme brave et rien de plus;
une jeune fille est un etre chaste, joli et timide. Qu'un heros n'est
souvent ni beau, ni jeune ni meme brave; qu'une jeune fille peut etre
laide, sensuelle et hardie et tous deux par-dessous cela posseder une
cervelle compliquee et retorse,--les mots ne nous le disent pas et
l'analyse seule nous l'apprend. M. Hugo s'en tient aux mots; de la,
l'air de famille de ses creatures similaires, et leur psychologie
ecourtee, qui se borne a assigner a chaque type les tendances
convenables et conventionnelles, a rendre les vieillards venerables et
les meres tendres, les traitres fourbes et les amantes eprises, sans
nuance, sans complications et sans individualite, sans rien de ces
contradictions abruptes et de ces hesitations fremissantes que presente
tout etre vivant.
Mais ici, le langage qui a compromis l'oeuvre de M. Hugo, la sauve. Si
ce poete simplifie la realite, il la grossit, en vertu de cette meme
habitude de pensee verbale, qui a faconne son style et ses conceptions.
Le mot, s'il ne contient que les attributs les plus generaux, les plus
caracteristiques et les plus simples de l'objet qu'il designe, les porte
en lui pousses a leur plus haute puissance. Le mot "chene" figure un
arbre robuste et enorme; le mot "or" rutile plus brillamment que le pale
metal de nos monnaies. Il n'est pas de femme qui soit la femme, ni de
pourpre vermeille qui merite d'etre appelee le rouge. Le poete dont
toute l'activite intellectuelle se depense en mots, qui use sans cesse
de ces brillants faux jetons de la pensee, ne pourra s'empecher de voir
les choses aussi demesurees que les paroles qui les magnifient. Pour
lui, necessairement, les mechants seront monstrueux, les jeunes filles
virginales et les tempetes formidables. Il ne concevra d'hommes vertueux
que saints, d'aurores que radieuses. La brise passant dans les arbres
sera pour lui l'haleine du grand Pan, et il soupconnera des faunes dans
les taillis obscurs. Le mot _Napoleon 1er_ fera surgir en son ame un
fantome de statue, le mot _Revolution_ une lutte
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