c'est toute une serie, dont il faut bien
savoir que le roman francais moderne a fini par sortir. Seulement ce
n'est encore ici qu'une sorte d'essai et une promesse.
Deux choses, non pas toujours, mais trop souvent, manquent a ces
romanciers, le gout du reel et l'emotion. Ces romanciers realistes sont
des romanciers qui ne sont pas touchants et des realistes qui ne sont
pas realistes. Ils n'ont pas le don d'attendrir et de s'attendrir. Une
certaine secheresse, ou, plus desobligeante encore, une sensibilite
fausse, et d'effort et de commande, est repandue dans toutes leurs
oeuvres, jusqu'a ce que Rousseau retrouve, mais seulement pour lui, les
sources de la vraie et profonde sensibilite.--Et ils ne sont pas assez
realistes, j'entends, non point qu'ils ne peignent pas d'assez basses
moeurs, ce n'est point un reproche a leur faire, mais qu'ils observent
vraiment trop peu, et trop superficiellement, le monde qui les entoure.
Ils ne sont pas assez de leur pays pour cela. Cette litterature,
celle-la meme, et non plus la haute et pretentieuse, n'est pas
nationale. Ni chretien ni francais, c'est le caractere general; ceux-ci
ne sont pas plus francais que les autres, et, precisement, si l'ecole
de 1715, dont ils derivent, si cette ecole novatrice n'a pas ete plus
feconde, c'est que si l'on repoussait la tradition classique comme
insuffisamment autochtone, c'etait une litterature nationale, curieuse
de nos moeurs vraies, de nos sentiments particuliers, de notre tour
d'esprit special, de notre facon d'etre nous, qu'au moins il fallait
essayer de creer; et c'est a quoi l'on n'a pas songe.
Une philosophie peu profonde, et, aussi, insuffisamment sincere; un
"grand art" sans inspiration et qui n'est souvent qu'une contrefacon
ingenieuse; une "litterature secondaire" habile, agreable et de peu de
fond, aucune poesie, voila soixante annees, environ, de ce siecle.
Vers la fin un souffle passa, qui jeta les semences d'une nouvelle vie.
Un homme doue d'imagination et de sensibilite se rencontra, c'est-a-dire
un poete. Rousseau emut son siecle. Par dela la Revolution la secousse
qu'il avait donnee aux ames devait se prolonger.--Un autre, de
sensibilite beaucoup moindre, et peut-etre peu eloignee d'etre nulle,
mais de grandes vues, de haut regard, et d'imagination magnifique,
deroula le grand spectacle des beautes naturelles, et ecrivit l'histoire
du monde. Non seulement dans la science, mais dans l'art, sa trace est
restee profonde.
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