iennent un chapelet aux grains
enormes et le font couler entre les doigts. C'est toute l'Albanie
d'autrefois qu'on croit voir en cet homme, l'Albanie ardente et sauvage,
primitive et rude, ne connaissant que ses coutumes, les defendant
aprement et capable en tout d'une vigueur singuliere.
A cote d'Yachar, voici Azam: c'est l'Albanie de demain; le bey
d'outre-tombe regarde le bey moderne et le comprend mal; la civilisation
gagne peut-etre a la transformation, mais le pittoresque, la couleur
locale y perdent et sans doute aussi avec eux disparaissent les
traditions centenaires; Azam est vetu a l'europeenne d'un veston fripe
et trop etroit; un faux col etrangle si bien son cou qu'il faut laisser
un de ses cotes libre; des bottines enserrent ses pieds, mais le font
souffrir et il les laisse deboutonnees; il porte le fez, et dans cet
accoutrement il figure le progres.
Je cause avec lui de ses terres; il me vante leur excellence; la
fertilite de ses grandes proprietes, en partie situees dans la large
vallee d'alluvions du Vardar qui s'ouvre a Gostivar, est prodigieuse:
ble, mais, orge, haricots, fruits, vigne, il cultive tout et tout pousse
en abondance; ces produits, comme aussi une certaine quantite de ceux de
la region de Krchevo, qui n'est qu'a huit heures d'ici, et de Dibra, qui
est eloigne de douze heures[5], se groupent a Gostivar et s'expedient
sur Uskub; le transport se fait par charrettes, au prix de 20 a 23
piastres en ete et de 30 piastres en hiver pour 100 ocres[6]; aussi tous
les beys attendent-ils avec impatience la construction du petit chemin
de fer sur route a voie etroite dont on parle pour relier Uskub a
Kalkandelem et Gostivar.
* * * * *
La construction du chemin de fer sur route de Gostivar a Kalkandelem ne
sera pas difficile, car on ne saurait trouver voie plus rectiligne
pendant 25 kilometres d'affilee, longeant le cours du Vardar entre deux
rangees de collines. C'est dans une voiture du pays que je franchis
cette distance, c'est-a-dire sur une planche surmontee d'une bache
percee de deux trous de chaque cote et portee sur quatre roues; au grand
trot des petits chevaux, nous penetrons, la nuit tombante, a Kalkandelem
ou Tetovo et nous nous rendons aussitot a la grande tekie des Becktachi,
situee a dix minutes de la ville, ou une large hospitalite nous est
reservee.
Cette tekie est le centre de l'ordre musulman des Becktachi pour toute
l'Albanie; car celle de Ko
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