ateur ou
l'homme d'Etat meme genial, s'il n'est pas un orateur, et d'y pousser le
politique bavard et l'improvisateur prestigieux; la facilite ou le
talent de paroles, l'esprit de repartie, n'a cependant rien de commun
avec la force de la pensee, la penetration de l'esprit, la vue de
l'avenir, la surete du jugement, la prevision du lendemain, le talent de
l'organisation, l'autorite de la personne, la force du caractere, toutes
choses qui, reunies, constituent le don du gouvernement et les qualites
essentielles de l'homme d'Etat; l'Albanie a besoin d'organisateurs et
d'hommes de gouvernement: qu'on ne lui inflige pas le regime des beaux
parleurs.
Qu'on ne pretende point non plus instaurer en Albanie le regime moderne
de la propriete et de l'egalite des charges entre les citoyens. Si a une
revolution politique on veut ajouter une revolution sociale, on ne
saurait s'y prendre autrement. L'autorite centrale devra percevoir les
impots dans les villes, puis dans les villages qui avaient l'habitude de
le payer; elle aura a eviter les abus de perception jadis si frequents;
puis peu a peu elle tachera d'amener le reste du pays au versement
regulier d'un tribut, sans pretendre a une egalite immediate, et en
tenant compte des traditions locales, de l'organisation feodale,
domestique et collective. La mise en valeur du pays et la securite des
communications doit preceder et non suivre le recouvrement _general_ de
l'impot, et ce n'est d'ailleurs pas une des moindres difficultes du
nouveau pouvoir.
Enfin, le prince de l'Albanie pourra utilement s'appuyer sur les
facteurs d'union et de cohesion, qui subsistent dans le pays: d'abord le
sentiment tres vif de la nationalite, les souvenirs historiques que
symbolisent toujours l'etendard de Scanderbeg et son hymne guerrier, le
gout de l'independance et la fierte de defendre le sol albanais contre
l'etranger. De ces sentiments, il importe de tirer parti, car ils sont
de ceux qui sont a la base d'une formation nationale.
Pourront-ils triompher des sentiments contraires, des haines de
religion, des competitions de clans, des hostilites et des jalousies des
grandes familles de beys, des manoeuvres et des embuches de l'etranger,
l'histoire des prochaines annees nous l'apprendra. Mais l'oeuvre a
entreprendre n'est pas indigne d'une noble ambition. Rien n'autorise a
affirmer qu'elle est impossible et que l'Albanie est ingouvernable. Les
difficultes et les perils sont visibles; peut-etre peu
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