foyer n'est amenage;
le feu brule a meme le sol, entre deux pierres; au toit a travers les
planches, un trou laisse fuir la fumee; aucune fenetre n'est pratiquee;
la porte basse, par laquelle je suis entre, est la seule ouverture.
J'examine les objets qui garnissent le logis; on peut les denombrer
facilement: un escabeau, deux nattes, un recipient, un balai, des
jarres pour l'eau, et c'est tout. Sur une grosse pierre, comme siege,
l'homme et la femme sont assis; ils portent des vetements en guenilles,
les pieds sont nus, la face crie la misere et la brutalite; ce sont les
paysans bulgares du grand proprietaire.
Dans le champ en face, les gerbes de ble sont accumulees par centaines;
un cheval les bat, des femmes apportent le ble et remportent la paille;
l'intendant dirige tout ce monde et ne laisse de repit a personne.
Ainsi, dans ce contact entre Albanais et Bulgares, les premiers
profitaient de maints avantages; dans les regions ou la grande propriete
etait rare et la petite nombreuse, comme dans celles de Gostivar ou de
Kalkandelem, les villages albanais s'infiltraient peu a peu entre les
villages slaves, les repoussaient, entouraient la ville; puis, les
Arnautes penetraient dans la ville, s'y developpaient et peu a peu le
pays devenait albanais. Dans les regions plus lointaines, ou la grande
propriete etait etendue, le proprietaire du tchiflik et son intendant
etaient des Albanais, et ils tenaient sous leur pouvoir la population
slave des paysans fermiers. La domination serbe dans le nord, comme la
domination grecque au sud, en Epire, va se trouver aux prises avec ces
graves questions sociales, et les resoudre ne sera pas une des moindres
difficultes du nouveau regime.
Tandis que nous gagnons Uskub, point de depart initial et terme de ces
longs voyages, je songe a tous ces problemes que pose aujourd'hui, si
angoissants, la victoire serbe. Au centre de la plaine, les maisons de
la ville s'etendent sur la rive gauche du Vardar; sur la rive droite,
quelques batiments escaladent la colline d'Uskub, au sommet de laquelle
des casernes tiennent la ville, selon l'usage turc, sous la domination
de leurs fusils.
Devant le konak, un fourmillement d'hommes et de betes, des voitures et
des paniers, des produits amonceles et des hottes garnies occupent la
large place du marche, ou les gens a cet instant ne pensent qu'a leurs
achats et a leurs ventes.
Cependant, sur ce terre-plein et dans ce palais, que de faits se sont
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