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juger un idealiste et prouvons-lui que son reve est mediocre, banal,
pas assez fou ou magnifique. Mais si nous jugeons un naturaliste,
montrons-lui en quoi la verite dans la vie differe de la verite dans son
livre.
Il est evident que des ecoles si differentes ont du employer des
procedes de composition absolument opposes.
Le romancier qui transforme la verite constante, brutale et deplaisante,
pour en tirer une aventure exceptionnelle et seduisante, doit, sans
souci exagere de la vraisemblance, manipuler les evenements a son gre,
les preparer et les arranger pour plaire au lecteur, l'emouvoir ou
l'attendrir. Le plan de son roman n'est qu'une serie de combinaisons
ingenieuses conduisant avec adresse au denouement. Les incidents sont
disposes et gradues vers le point culminant et l'effet de la fin, qui
est un evenement capital et decisif, satisfaisant toutes les curiosites
eveillees au debut, mettant une barriere a l'interet, et terminant si
completement l'histoire racontee qu'on ne desire plus savoir ce que
deviendront, le lendemain, les personnages les plus attachants.
Le romancier, au contraire, qui pretend nous donner une image exacte
dela vie, doit eviter avec soin tout enchainement d'evenements qui
paraitrait exceptionnel. Son but n'est point de nous raconter une
histoire, de nous amuser ou de nous attendrir, mais de nous forcer a
penser, a comprendre le sens profond et cache des evenements. A force
d'avoir vu et medite il regarde l'univers, les choses, les faits et
les hommes d'une certaine facon qui lui est propre et qui resulte
de l'ensemble de ses observations reflechies. C'est cette vision
personnelle du monde qu'il cherche a nous communiquer en la reproduisant
dans un livre. Pour nous emouvoir, comme il l'a ete lui-meme par le
spectacle de la vie, il doit la reproduire devant nos yeux avec une
scrupuleuse ressemblance. Il devra donc composer son oeuvre d'une
maniere si adroite, si dissimulee, et d'apparence si simple, qu'il soit
impossible d'en apercevoir et d'en indiquer le plan, de decouvrir ses
intentions.
Au lieu de machiner une aventure et de la derouler de facon a la rendre
interessante jusqu'au denouement, il prendra son ou ses personnages
a une certaine periode de leur existence et les conduira, par des
transitions naturelles, jusqu'a la periode suivante. Il montrera de
cette facon, tantot comment les esprits se modifient sous l'influence
des circonstances environnantes, tantot comment se de
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