tourments, parce qu'ils portent en eux une force creatrice irresistible.
Ils ne se jugent pas eux-memes. Les autres, nous autres qui sommes
simplement des travailleurs conscients et tenaces, nous ne pouvons
lutter contre l'invincible decouragement que par la continuite de
l'effort.
Deux hommes par leurs enseignements simples et lumineux m'ont donne
cette force de toujours tenter: Louis Bouilhet et Gustave Flaubert.
Si je parle ici d'eux et de moi c'est que leurs conseils, resumes en
peu de lignes, seront peut-etre utiles a quelques jeunes gens moins
confiants en eux-memes qu'on ne l'est d'ordinaire quand on debute dans
les lettres.
Bouilhet, que je connus le premier d'une facon un peu intime, deux ans
environ avant de gagner l'amitie de Flaubert, a force de me repeter que
cent vers, peut-etre moins, suffisent a la reputation d'un artiste,
s'ils sont irreprochables et s'ils contiennent l'essence du talent et de
l'originalite d'un homme meme de second ordre, me fit comprendre que le
travail continuel et la connaissance profonde du metier peuvent, un jour
de lucidite, de puissance et d'entrainement, par la rencontre heureuse
d'un sujet concordant bien avec toutes les tendances de notre esprit,
amener cette eclosion de l'oeuvre courte, unique et aussi parfaite que
nous la pouvons produire.
Je compris ensuite que les ecrivains les plus connus n'ont presque
jamais laisse plus d'un volume et qu'il faut, avant tout, avoir cette
chance de trouver et de discerner, au milieu de la multitude des
matieres qui se presentent a notre choix, celle qui absorbera toutes nos
facultes, toute notre valeur, toute notre puissance artiste.
Plus tard, Flaubert, que je voyais quelquefois, se prit d'affection pour
moi. J'osai lui soumettre quelques essais. Il les lut avec bonte et me
repondit: "Je ne sais pas si vous aurez du talent. Ce que vous m'avez
apporte prouve une certaine intelligence, mais n'oubliez point ceci,
jeune homme, que le talent--suivant le mot de Chateaubriand--n'est
qu'une longue patience. Travaillez."
Je travaillai, et je revins souvent chez lui, comprenant que je lui
plaisais, car il s'etait mis a m'appeler, en riant, son disciple.
Pendant sept ans je fis des vers, je fis des contes, je fis des
nouvelles, je fis meme un drame detestable. Il n'en est rien reste. Le
maitre lisait tout, puis le dimanche suivant, en dejeunant, developpait
ses critiques et enfoncait en moi, peu a peu, deux ou trois principes
qui s
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