avec sa
bouche le bruit de cette detonation, puis declara:
--J'aime mieux ca qu'un coup de pistolet.
Pierre, de plus en plus agace, repondit en ricanant:
--Cela est peut-etre, cependant, plus dangereux pour toi.
Roland, qui allait boire, reposa son verre plein sur la table et
demanda:
--Pourquoi donc?
Depuis longtemps il se plaignait de sa sante, de lourdeurs, de vertiges,
de malaises constants et inexplicables. Le docteur reprit:
--Parce que la balle du pistolet peut fort bien passer a cote de toi,
tandis que le verre de vin te passe forcement dans le ventre.
--Et puis?
--Et puis il te brule l'estomac, desorganise le systeme nerveux,
alourdit la circulation et prepare l'apoplexie dont sont menaces tous
les hommes de ton temperament.
L'ivresse croissante de l'ancien bijoutier paraissait dissipee comme une
fumee par le vent; et il regardait son fils avec des yeux inquiets et
fixes, cherchant a comprendre s'il ne se moquait pas.
Mais Beausire s'ecria:
--Ah! ces sacres medecins, toujours les memes: ne mangez pas, ne buvez
pas, n'aimez pas, et ne dansez pas en rond. Tout ca fait du bobo a
petite sante. Eh bien! j'ai pratique tout ca, moi, Monsieur, dans toutes
les parties du monde, partout ou j'ai pu, et le plus que j'ai pu, et je
ne m'en porte pas plus mal.
Pierre repondit avec aigreur:
--D'abord, vous, capitaine, vous etes plus fort que mon pere; et puis
tous les viveurs parlent comme vous jusqu'au jour ou ... et ils ne
reviennent pas le lendemain dire au medecin prudent: "Vous aviez raison,
docteur." Quand je vois mon pere faire ce qu'il y a de plus mauvais et
de plus dangereux pour lui, il est bien naturel que je le previenne. Je
serais un mauvais fils si j'agissais autrement.
Mme Roland desolee intervint a son tour:--Voyons, Pierre, qu'est-ce
que tu as? Pour une fois, ca ne lui fera pas de mal. Songe quelle fete
pour lui, pour nous. Tu vas gater tout son plaisir et nous chagriner
tous. C'est vilain, ce que tu fais la!
Il murmura en haussant les epaules:
--Qu'il fasse ce qu'il voudra, je l'ai prevenu.
Mais le pere Roland ne buvait pas. Il regardait son verre, son verre
plein de vin lumineux et clair, dont l'ame legere, l'ame enivrante
s'envolait par petites bulles venues du fond et montant, pressees et
rapides, s'evaporer a la surface; il le regardait avec une mefiance de
renard qui trouve une poule morte et flaire un piege.
Il demanda, en hesitant:
--Tu crois que ca me fe
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