ans une prairie
demesuree. Et le bruit confus, proche et lointain des voix egrenees dans
l'air leger, les appels, les cris d'enfants qu'on baigne, les rires
clairs des femmes faisaient une rumeur continue et douce, melee a la
brise insensible et qu'on aspirait avec elle.
Pierre marchait au milieu de ces gens, plus perdu, plus separe d'eux,
plus isole, plus noye dans sa pensee torturante, que si on l'avait jete
a la mer du pont d'un navire, a cent lieues au large. Il les frolait,
entendait, sans ecouter, quelques phrases; et il voyait, sans regarder,
les hommes parler aux femmes et les femmes sourire aux hommes.
Mais tout a coup, comme s'il s'eveillait, il les apercut distinctement;
et une haine surgit en lui contre eux, car ils semblaient heureux et
contents.
Il allait maintenant frolant les groupes, tournant autour, saisi par des
pensees nouvelles. Toutes ces toilettes multicolores qui couvraient le
sable comme un bouquet, ces etoffes jolies, ces ombrelles voyantes,
la grace factice des tailles emprisonnees, toutes ces inventions
ingenieuses de la mode depuis la chaussure mignonne jusqu'au chapeau
extravagant, la seduction du geste, de la voix et du sourire, la
coquetterie enfin etalee sur cette plage lui apparaissaient soudain
comme une immense floraison de la perversite feminine. Toutes ces femmes
parees voulaient plaire, seduire, et tenter quelqu'un. Elles s'etaient
faites belles pour les hommes, pour tous les hommes, excepte pour
l'epoux qu'elles n'avaient plus besoin de conquerir. Elles s'etaient
faites belles pour l'amant d'aujourd'hui et l'amant de demain, pour
l'inconnu rencontre, remarque, attendu peut-etre.
Et ces hommes, assis pres d'elles, les yeux dans les yeux, parlant
la bouche pres de la bouche, les appelaient et les desiraient, les
chassaient comme un gibier souple et fuyant, bien qu'il semblat si
proche et si facile. Cette vaste plage n'etait donc qu'une halle
d'amour ou les unes se vendaient, les autres se donnaient, celles-ci
marchandaient leurs caresses et celles-la se promettaient seulement.
Toutes ces femmes ne pensaient qu'a la meme chose, offrir et faire
desirer leur chair deja donnee, deja vendue, deja promise a d'autres
hommes. Et il songea que sur la terre entiere c'etait toujours la meme
chose. Sa mere avait fait comme les autres, voila tout! Comme les
autres?--non! Il existait des exceptions, et beaucoup, beaucoup! Celles
qu'il voyait autour de lui, des riches, des folles, des cher
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