e habitait, sur la route de Sainte-Adresse, le deuxieme etage d'une
grande construction qui lui appartenait. De ses fenetres on decouvrait
toute la rade du Havre.
En apercevant Mme Roland qui entrait la premiere, au lieu de lui tendre
les mains comme toujours, elle ouvrit les bras et l'embrassa, car elle
devinait l'intention de sa demarche.
Le mobilier du salon, en velours frappe, etait toujours recouvert
de housses. Les murs, tapisses de papier a fleurs, portaient
quatre gravures achetees par le premier mari, le capitaine. Elles
representaient des scenes maritimes et sentimentales. On voyait sur la
premiere la femme d'un pecheur agitant un mouchoir sur une cote, tandis
que disparait a l'horizon la voile, qui emporte son homme. Sur la
seconde, la meme femme, a genoux sur la meme cote, se tord les bras en
regardant au loin, sous un ciel plein d'eclairs, sur une mer de vagues
invraisemblables, la barque de l'epoux qui va sombrer.
Les deux autres gravures representaient des scenes analogues dans une
classe superieure de la societe.
Une jeune femme blonde reve, accoudee sur le bordage d'un grand paquebot
qui s'en va. Elle regarde la cote deja lointaine d'un oeil mouille de
larmes et de regrets.
Qui a-t-elle laisse derriere elle?
Puis, la meme jeune femme assise pres d'une fenetre ouverte sur l'Ocean
est evanouie dans un fauteuil. Une lettre vient de tomber de ses genoux
sur le tapis.
Il est donc mort, quel desespoir!
Les visiteurs, generalement, etaient emus et seduits par la tristesse
banale de ces sujets transparents et poetiques. On comprenait tout de
suite, sans explication, et sans recherche, et on plaignait les pauvres
femmes, bien qu'on ne sut pas au juste la nature du chagrin de la plus
distinguee. Mais ce doute meme aidait a la reverie. Elle avait du perdre
son fiance! L'oeil, des l'entree, etait attire invinciblement vers ces
quatre sujets et retenu comme par une fascination. Il ne s'en ecartait
que pour y revenir toujours, et toujours contempler les quatre
expressions des deux femmes qui se ressemblaient comme deux soeurs. Il
se degageait surtout du dessin net, bien fini, soigne distingue a la
facon, d'une gravure de mode, ainsi que du cadre bien luisant, une
sensation de proprete et de rectitude qu'accentuait encore le reste de
l'ameublement.
Les sieges demeuraient ranges suivant un ordre invariable, les uns
contre la muraille, les autres autour du gueridon. Les rideaux blancs,
immacules, av
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