affaissa sur un divan,
car les chagrins et les soucis qui donnaient a son frere des envies de
courir et de fuir comme une bete chassee, agissant diversement sur sa
nature somnolente, lui cassaient les jambes et les bras. Il se sentait
mou a ne plus faire un mouvement, a ne pouvoir gagner son lit, mou de
corps et d'esprit, ecrase et desole. Il n'etait point frappe, comme
l'avait ete Pierre, dans la purete de son amour filial, dans cette
dignite secrete qui est l'enveloppe des coeurs fiers, mais accable par
un coup du destin qui menacait en meme temps ses interets les plus
chers.
Quand son ame enfin se fut calmee, quand sa pensee se fut eclaircie
ainsi qu'une eau battue et remuee, il envisagea la situation qu'on
venait de lui reveler. S'il eut appris de toute autre maniere le secret
de sa naissance, il se serait assurement indigne et aurait ressenti un
profond chagrin; mais apres sa querelle avec son frere, apres cette
delation violente et brutale ebranlant ses nerfs, l'emotion poignante
de la confession de sa mere le laissa sans energie pour se revolter. Le
choc recu par sa sensibilite avait ete assez fort pour emporter, dans un
irresistible attendrissement, tous les prejuges et toutes les saintes
susceptibilites de la morale naturelle. D'ailleurs, il n'etait pas un
homme de resistance. Il n'aimait lutter contre personne et encore moins
contre lui-meme; il se resigna donc, et par un penchant instinctif, par
un amour inne du repos, de la vie douce et tranquille, il s'inquieta
aussitot des perturbations qui allaient surgir autour de lui et
l'atteindre du meme coup. Il les pressentait inevitables, et, pour les
ecarter, il se decida a des efforts surhumains d'energie et d'activite.
Il fallait que tout de suite, des le lendemain, la difficulte fut
tranchee, car il avait aussi par instants ce besoin imperieux des
solutions immediates qui constitue toute la force des faibles,
incapables de vouloir longtemps. Son esprit d'avocat, habitue d'ailleurs
a demeler et a etudier les situations compliquees, les questions d'ordre
intime, dans les familles troublees, decouvrit immediatement toutes les
consequences prochaines de l'etat d'ame de son frere. Malgre lui il en
envisageait les suites a un point de vue presque professionnel, comme
s'il eut regle les relations futures de clients apres une catastrophe
d'ordre moral. Certes un contact continuel avec Pierre lui devenait
impossible. Il l'eviterait facilement en restant chez lui, mais
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