eta et qu'il chercha de l'oeil un endroit pour
s'asseoir.
Un autre cafe se trouvait en face de lui, il y entra, prit une chaise,
et comme le garcon se presentait: "Un bock", dit-il.
Il sentait battre son coeur; des frissons lui couraient sur la peau. Et
tout a coup le souvenir lui vint de ce qu'avait dit Marowsko la veille:
"Ca ne fera pas un bon effet." Avait-il eu la meme pensee, le meme
soupcon que cette drolesse?
La tete penchee sur son bock il regardait la mousse blanche petiller
et fondre, et il se demandait: "Est-ce possible qu'on croie une chose
pareille?"
Les raisons qui feraient naitre ce doute odieux dans les esprits lui
apparaissaient maintenant, l'une apres l'autre, claires, evidentes,
exasperantes. Qu'un vieux garcon sans heritiers laisse sa fortune aux
deux enfants d'un ami, rien de plus simple et de plus naturel, mais
qu'il 1s donne tout entiere a un seul de ces enfants, certes le monde
s'etonnera, chuchotera et finira par sourire. Comment n'avait-il pas
prevu cela, comment son pere ne l'avait-il pas senti, comment sa mere ne
l'avait-elle pas devine? Non, ils s'etaient trouves trop heureux de cet
argent inespere pour que cette idee les effleurat. Et puis comment ces
honnetes gens auraient-ils soupconne une pareille ignominie?
Mais le public, mais le voisin, le marchand, le fournisseur, tous ceux
qui les connaissaient n'allaient-ils pas repeter cette chose abominable,
s'en amuser, s'en rejouir, rire de son pere et mepriser sa mere?
Et la remarque faite par la fille de brasserie que Jean etait blond et
lui brun, qu'ils ne se ressemblaient ni de figure, ni de demarche, ni de
tournure, ni d'intelligence, frapperait maintenant tous les yeux et tous
les esprits. Quand on parlerait d'un fils Roland on dirait: "Lequel, le
vrai ou le faux?"
Il se leva avec la resolution de prevenir son frere, de le mettre en
garde contre cet affreux danger menacant l'honneur de leur mere.
Mais que ferait Jean? Le plus simple, assurement, serait de refuser
l'heritage qui irait alors aux pauvres, et de dire seulement aux amis et
connaissances informes de ce legs que le testament contenait des clauses
et conditions inacceptables qui auraient fait de Jean, non pas un
heritier, mais un depositaire.
Tout en rentrant a la maison paternelle, il songeait qu'il devait voir
son frere seul, afin de ne point parler devant ses parents d'un pareil
sujet.
Des la porte il entendit un grand bruit de voix et de rires dans le
sa
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