vinrent en conge de temps en temps partager les plaisirs de
leur pere.
A la sortie du college, l'aine, Pierre, de cinq ans plus age que Jean,
s'etant senti successivement de la vocation pour des professions
variees, en avait essaye, l'une apres l'autre, une demi-douzaine,
et, vite degoute de chacune, se lancait aussitot dans de nouvelles
esperances.
En dernier lieu la medecine l'avait tente, et il s'etait mis au travail
avec tant d'ardeur, qu'il venait d'etre recu docteur apres d'assez
courtes etudes et des dispenses de temps obtenues du ministre. Il etait
exalte, intelligent, changeant et tenace, plein d'utopies et d'idees
philosophiques.
Jean, aussi blond que son frere etait noir, aussi calme que son frere
etait emporte, aussi doux que son frere etait rancunier, avait fait
tranquillement son droit et venait d'obtenir son diplome de licencie en
meme temps que Pierre obtenait celui de docteur.
Tous les deux prenaient donc un peu de repos dans leur famille, et tous
les deux formaient le projet de s'etablir au Havre s'ils parvenaient a
le faire dans des conditions satisfaisantes.
Mais une vague jalousie, une de ces jalousies dormantes qui grandissent
presque invisibles entre freres ou entre soeurs jusqu'a la maturite et
qui eclatent a l'occasion d'un mariage ou d'un bonheur tombant sur l'un,
les tenait en eveil dans une fraternelle et inoffensive inimitie. Certes
ils s'aimaient, mais ils s'epiaient. Pierre, age de cinq ans a la
naissance de Jean, avait regarde avec une hostilite de petite bete gatee
cette autre petite bete apparue tout a coup dans les bras de son pere et
de sa mere, et tant aimee, tant caressee par eux.
Jean, des son enfance, avait ete un modele de douceur, de bonte et de
caractere egal; et Pierre s'etait enerve, peu a peu, a entendre vanter
sans cesse ce gros garcon dont la douceur lui semblait etre de la
mollesse, la bonte de la niaiserie et la bienveillance de l'aveuglement.
Ses parents, gens placides, qui revaient pour leurs fils des situations
honorables et mediocres, lui reprochaient ses indecisions, ses
enthousiasmes, ses tentatives avortees, tous ses elans impuissants vers
des idees genereuses et vers des professions decoratives.
Depuis qu'il etait homme, on ne lui disait plus: "Regarde Jean et
imite-le!" mais chaque fois qu'il entendait repeter: "Jean a fait ceci,
Jean a fait cela," il comprenait bien le sens et l'allusion caches sous
ces paroles.
Leur mere, une femme d'ordre, u
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