rtout.
--Vous n'avez pas l'air gai, ce soir.
--Je ne le suis pas souvent.
--Allons, allons, il faut secouer cela. Voulez-vous un verre de liqueur?
--Oui, je veux bien.
--Alors je vais vous faire gouter une preparation nouvelle. Voila deux
mois que je cherche a tirer quelque chose de la groseille, dont on n'a
fait jusqu'ici que du sirop ... eh bien! j'ai trouve ... j'ai trouve ...
une bonne liqueur, tres bonne, tres bonne.
Et ravi, il alla vers une armoire, l'ouvrit et choisit une fiole qu'il
apporta. Il remuait et agissait par gestes courts, jamais complets,
jamais il n'allongeait le bras tout a fait, n'ouvrait toutes grandes
les jambes, ne faisait un mouvement entier et definitif. Ses idees
semblaient pareilles a ses actes; il les indiquait, les promettait, les
esquissait, les suggerait, mais ne les enoncait pas.
Sa plus grande preoccupation dans la vie semblait etre d'ailleurs la
preparation des sirops et des liqueurs. "Avec un bon sirop ou une bonne
liqueur, on fait fortune", disait-il souvent.
Il avait invente des centaines de preparations sucrees sans parvenir a
en lancer une seule. Pierre affirmait que Marowsko le faisait penser a
Marat.
Deux petits verres furent pris dans l'arriere-boutique et apportes
sur la planche aux preparations; puis les deux hommes examinerent en
l'elevant vers le gaz la coloration du liquide.
--Joli rubis! declara Pierre.
--N'est-ce pas?
La vieille tete de perroquet du Polonais semblait ravie.
Le docteur gouta, savoura, reflechit, gouta de nouveau, reflechit encore
et se prononca:
--Tres bon, tres bon, et tres neuf comme saveur; une trouvaille, mon
cher!
--Ah! vraiment, je suis bien content.
Alors Marowsko demanda conseil pour baptiser la liqueur nouvelle; il
voulait l'appeler "essence de groseille", ou bien "fine groseille", ou
bien "groselia", ou bien "groseline".
Pierre n'approuvait aucun de ces noms.
Le vieux eut une idee:
--Ce que vous avez dit tout a l'heure est tres bon, tres bon: "Joli
rubis."
Le docteur contesta encore la valeur de ce nom, bien qu'il l'eut
trouve, et il conseilla simplement "groseillette", que Marowsko declara
admirable.
Puis ils se turent et demeurerent assis quelques minutes, sans prononcer
un mot, sous l'unique bec de gaz.
Pierre, enfin, presque malgre lui:
--Tiens, il nous est arrive une chose assez bizarre, ce soir. Un des
amis de mon pere, en mourant, a laisse sa fortune a mon frere.
Le pharmacien se
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