t, l'un a babord, l'autre a
tribord, chacun une ligne enroulee a l'index, se mirent a rire en meme
temps et Jean repondit:
---Tu n'es pas galant pour notre invitee, papa.
M. Roland fut confus et s'excusa:
--Je vous demande pardon, madame Rosemilly, je suis comme ca. J'invite
des dames parce que j'aime me trouver avec elles, et puis, des que je
sens de l'eau sous moi, je ne pense plus qu'au poisson.
Mme Roland s'etait tout a fait reveillee et regardait d'un air attendri
le large horizon de falaises et de mer. Elle murmura:
--Vous avez cependant fait une belle peche.
Mais son mari remuait la tete pour dire non, tout en jetant un coup
d'oeil bienveillant sur le panier ou le poisson capture par les trois
hommes palpitait vaguement encore, avec un bruit doux d'ecailles
gluantes et de nageoires soulevees, d'efforts impuissants et mous, et de
baillements dans l'air mortel.
Le pere Roland saisit la manne entre ses genoux, la pencha, fit couler
jusqu'au bord le flot d'argent des betes pour voir celles du fond, et
leur palpitation d'agonie s'accentua, et l'odeur forte de leur corps,
une saine puanteur de maree, monta du ventre plein de la corbeille.
Le vieux pecheur la huma vivement, comme on sent des roses, et declara:
--Cristi! ils sont frais, ceux-la!
Puis il continua:
--Combien en as-tu pris, toi, docteur?
Son fils aine, Pierre, un homme de trente ans a favoris noirs coupes
comme ceux des magistrats, moustaches et menton rases, repondit:
--Oh! pas grand'chose, trois ou quatre.
Le pere se tourna vers le cadet:
--Et toi, Jean?
Jean, un grand garcon blond, tres barbu, beaucoup plus jeune que son
frere, sourit et murmura:
--A peu pres comme Pierre, quatre ou cinq.
Ils faisaient, chaque fois, le meme mensonge qui ravissait le pere
Roland.
Il avait enroule son fil au tolet d'un aviron, et croisant ses bras il
annonca:
--Je n'essayerai plus jamais de pecher l'apres-midi. Une fois dix heures
passees, c'est fini. Il ne mord plus, le gredin, il fait la sieste au
soleil.
Le bonhomme regardait la mer autour de lui avec un air satisfait de
proprietaire.
C'etait un ancien bijoutier parisien qu'un amour immodere de la
navigation et de la peche avait arrache au comptoir des qu'il eut assez
d'aisance pour vivre modestement de ses rentes.
Il se retira donc au Havre, acheta une barque et devint matelot amateur.
Ses deux fils, Pierre et Jean, resterent a Paris pour continuer leurs
etudes et
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