ogie
au lieu de l'etaler, ils en font la carcasse de l'oeuvre, comme
l'ossature invisible est la carcasse du corps humain. Le peintre qui
fait notre portrait ne montre pas notre squelette.
Il me semble aussi que le roman execute de cette facon y gagne en
sincerite. Il est d'abord plus vraisemblable, car les gens que nous
voyons agir autour de nous ne nous racontent point les mobiles auxquels
ils obeissent.
Il faut ensuite tenir compte de ce que, si, a force d'observer les
hommes, nous pouvons determiner leur nature assez exactement pour
prevoir leur maniere d'etre dans presque toutes les circonstances, si
nous pouvons dire avec precision: "Tel homme de tel temperament, dans
tel cas, fera ceci", il ne s'ensuit point que nous puissions determiner,
une a une, toutes les secretes evolutions de sa pensee qui n'est pas la
notre, toutes les mysterieuses sollicitations de ses instincts qui ne
sont pas pareils aux notres, toutes les incitations confuses de sa
nature dont les organes, les nerfs, le sang, la chair, sont differents
des notres.
Quel que soit le genie d'un homme faible, doux, sans passions, aimant
uniquement la science et le travail, jamais il ne pourra se transporter
assez completement dans l'ame et dans le corps d'un gaillard exuberant,
sensuel, violent, souleve par tous les desirs et meme par tous les
vices, pour comprendre et indiquer les impulsions et les sensations les
plus intimes de cet etre si different, alors meme qu'il peut fort bien
prevoir et raconter tous les actes de sa vie.
En somme, celui qui fait de la psychologie pure ne peut que se
substituer a tous ses personnages dans les differentes situations ou il
les place, car il lui est impossible de changer ses organes, qui sont
les seuls intermediaires entre la vie exterieure et nous, qui nous
imposent leurs perceptions, determinent notre sensibilite, creent en
nous une ame essentiellement differente de toutes celles qui nous
entourent. Notre vision, notre connaissance du monde acquise par le
secours de nos sens, nos idees sur la vie, nous ne pouvons que les
transporter en partie dans tous les personnages dont nous pretendons
devoiler l'etre intime et inconnu. C'est donc toujours nous que nous
montrons dans le corps d'un roi, d'un assassin, d'un voleur ou d'un
honnete homme, d'une courtisane, d'une religieuse, d'une jeune fille ou
d'une marchande aux halles, car nous sommes obliges de nous poser ainsi
le probleme: "Si _j'_etais roi, assassin, vo
|